Les discussions autour de la table du diner du vendredi sont une institution juive. La raison d’être du Chabbat est bel et bien de constituer une pause entre la semaine qui vient de s’écouler et celle qui arrive, durant laquelle on réfléchit et on recherche un sens à nos vies agitées.
C’est la quintessence du repas en commun : s’asseoir autour d’une table en compagnie de convives, profiter de conversations agréables, se lancer dans le récit d’anecdotes. Ceci dit, les raisons peuvent être plus banales : la nourriture à profusion (comment fais-tu pour obtenir des pommes de terre aussi croustillantes ?) ou le vin, connu pour délier les langues.
Il y a quelques semaines, je me suis retrouvé dans tous mes états au cours de l’une de ces conversations. Il s’agissait d’un Oleh vétéran (je vous jure, 11 ans dans le pays) conversant avec un nouvel Oleh (un Australien, seulement quelques semaines), le sujet de la discussion était l’Aliya.
Pour être honnête, au cours de ces situations où la passion prend parfois le dessus, les débats peuvent devenir plutôt radicaux. Je me suis surpris, exprimant avec ferveur ma confusion, mon trouble, voire ma frustration à voir un jeune Juif, bien éduqué, socialement intégré, lâcher plan de carrière tracé, famille et prêt hypothécaire en Australie pour exactement la même trilogie ici en Israël.
Mais ne vous méprenez pas, je ne fais que reprendre les paroles des prophètes hébreux, en particulier celles sur le Kiboutz Galouyot (regroupement des exilés). Je crois que cette question juive moderne vieille de 200 ans a trouvé sa réponse dans le Sionisme. La renaissance du peuple Juif implique son retour en Israël depuis l’exil, le développement d’une culture juive, la modernisation de la langue hébraïque et la création d’un État juif souverain.
Est-ce que les Olim australiens sont en train d’accomplir ? La réponse est un oui, sans équivoque. J’ai dans mes connaissances un avocat Israelo-australien, un entrepreneur d’affaires, un autre dans les hautes technologies et un autre dans l’urbanisme.
Ils servent dans l’armée, paient leurs impôts et sont généralement plutôt orientés à gauche politiquement. Mais même s’il convient de ne pas sous-estimer le choix de parcourir 14.000 kilomètres pour émigrer de la “Terre d’abondance“ vers la “Terre de lait et de miel“, les prophètes d’Israël ont demandé plus : ils nous ont demandé, ni plus ni moins, que d’être une “lumière pour les nations“.
“A mon sens”, expliquais-je à notre invité embarrassé, “vous êtes soit une partie du problème soit une partie de tentative pour trouver une solution. Un citoyen israélien quelconque qui vit ici, gagne sa vie ici et vote tous les 2 ou 3 ans ne faisant en substance que perpétuer la société israélienne telle qu’elle, sans l’améliorer significativement“.
Et l’estocade : “Et si les nouveaux Olim faisaient leur Aliya dans les implantations et qu’ils détournaient les subsides du gouvernement pour construire des maisons juives au-delà de la ligne verte ? Qu’ils ne maintiennent pas simplement le statu quo mais qu’ils contribuent à empirer la situation ? Et s’ils faisaient aussi acte de violence physique à l’encontre des Palestiniens ?“
Où donc se déroulait ce dîner du vendredi soir ? Je vis, ainsi que d’autres olim, dans un kiboutz urbain dont les membres sont majoritairement nés en Israël.
Ce kiboutz urbain, le Kiboutz Mish’ol, fait partie d’un mouvement plus large de communautés situées de part et d’autre d’Israël et qui défend l’idée que l’esprit pionnier d’aujourd’hui se manifeste en vivant et en travaillant à la périphérie sociale et géographique de la société israélienne.
Grâce à des clubs périscolaires pour les enfants en difficulté, à des cours pour les élèves du secondaire en situation de décrochage, et bien d’autres actions encore, nous nous fixons pour mission de rénover la société israélienne pour en faire une société égalitaire, sioniste et démocratique.
Je suis fermement convaincu qu’individuellement, nous sommes tout simplement impuissants à apporter des changements autres que cosmétiques à la société qui nous entoure.
Au mieux, nous sommes à même de soulager certains des symptômes de notre société malade, mais sans pouvoir apporter le changement fondamental nécessaire à modifier les racines du problème. Pourtant, une fédération de mouvements, composée de communautés dont les membres ont le même état d’esprit, et possédant un message cohésif sous la forme d’une vision partagée et d’une stratégie de mise en place de ces objectifs, une fédération qui choisit de travailler ensemble en vue d’un changement sociétal à long terme est en train de prendre son essor, dans l’esprit des Prophètes d’Israël.
Anton Marks
Le kiboutz Mish’ol tire son nom d’un article de Yosef Chaim Brenner, l’un des pionniers de la littérature hébraïque. Mish’ol signifie chemin, et le chemin des actions ouvert par les pionniers d’il y a 100 ans continue d’être défriché aujourd’hui par ceux qui oeuvrent jour et nuit à la construction d’une société israélienne plus juste.