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Naissance de l’humour juif

Naissance de l’humour juif

L’humour juif serait né au 17e siècle dans des circonstances historiques bien précises.

L’info fera sans doute plaisir à, entre autres, Woody Allen et Jerry Seinfeld, qui pourront cocher la date sur leur calendrier pour en célébrer très bientôt le 350e anniversaire : selon Mel Gordon, un universitaire de Berkeley (Californie) dont les travaux sont relayés par la Jewish Telegraphic Agency, la naissance de l’humour juif pourrait être précisément datée du 3 juillet 1661, jour d’un important édit rabbinique.

Selon cet auteur, l’humour juif, avec son mélange de sarcasme et de noirceur, ne s’explique pas directement par l’histoire du peuple juif :

« Tout le monde dit que les Juifs sont drôles parce qu’ils ont tellement souffert. C’est ridicule. Vous pensez que le reste du monde n’a pas souffert ? Les Arméniens, les Biafrais, les Indiens d’Amérique ? Aucun d’entre eux ne sont réputés pour leur humour. »

« Nous sommes drôles à cause du badkhn », résume Gordon.

Le badkhn ? « Un cruel bouffon de la culture juive d’Europe de l’Est », explique l’article, dans lequel Gordon se souvient avoir vu ce comique « ivre dans les cimetières » dans son enfance.

La mission de ce comique ancestral était notamment de se moquer des mariés lors d’une cérémonie : « Son humour était mordant, souvent vicieux. Il disait d’une mariée qu’elle était horrible, faisait des blagues sur la mère morte du marié et bouclait le tout en se moquant des invités pour avoir apporté des cadeaux sans valeur », écrit la JTA.

« Le seul survivant des comiques juifs »

En 1661, une décennie après d’importants pogroms en Europe de l’Est, les principaux rabbins   de Pologne et d’Ukraine se réunissent « pour débattre de la cause des malheurs du peuple juif » et en concluent que celui-ci est « puni par Dieu ». Ils décident alors d’interdire les différents types de comiques juifs, à l’exception du badkhn :

« Gordon raconte qu’un rabbin   a demandé à ses collègues ce qu’il en était du badkhn. Selon lui, il n’était pas vraiment drôle, plutôt grossier. Les anciens se sont mis d’accord et l’ont exempté. [...] Avant les années 1660, le badkhn était le moins populaire des comiques juifs. Après, il en était le seul survivant. »

En 2010, Mel Gordon a sorti avec un autre auteur, Thomas Andrae, un livre intitulé Funnyman : The First Jewish Superhero, où il raconte l’histoire de Funnyman, un super-héros créé en 1948 par les auteurs de Superman et qui combattait le crime grâce à ses blagues. Publishers Weekly, qui consacrait un article au livre, expliquait à l’époque que Gordon attribuait une grande importance au personnage du badkhn dans la création de Funnyman.

En 1995, le San Francisco Chronicle consacrait un article aux recherches de Gordon où celui-ci parlait déjà de l’importance du badkhn :

« J’ai cette théorie du badkhn selon laquelle les Juifs avaient seulement le droit de pratiquer cet humour très amer et agressif, qui au XXe siècle est devenu internationalement accepté. »

http://www.publishersweekly.com/pw/...

Les visages de l’humour juif

L’humour juif, qu’est-ce que c’est ? Chacun a bien sa petite idée, ses références toutes prêtes à l’emploi. La plupart du temps, elles sont visuelles et sonores. Elles relèvent de l’éclat de rire. C’est Woody Allen dans Meurtre mystérieux à Manhattan qui déclare : « Quand j’écoute trop de Wagner, j’ai envie d’envahir la Pologne. » Ce sont les frères Coen qui font inscrire au générique de fin de A Serious Man, cette mention : « Aucun juif n’a été blessé pendant le tournage de ce film. » Ce sont aussi des palanquées d’histoires sur les mères, Dieu, l’argent, qui se veulent drôles, qui souvent le sont et parfois frisent la correctionnelle. Tout le monde n’a pas la finesse d’esprit d’un Tristan Bernard sur le point d’être déporté à Drancy. À la personne qui lui demandait : « De quoi avez-vous besoin M. Tristan Bernard ? », il répondit : « D’un cache-nez. »

Définir l’humour juif ? Mission impossible si l’on en croit le Prix Nobel de littérature américain Saul Bellow : « L’humour juif est mystérieux et échappe à nos efforts - à mon avis, même aux efforts de Freud - de l’analyser. » Alain Oppenheim, auteur d’une belle anthologie chez Omnibus tente pourtant quelques pistes : « Ce serait une erreur de limiter l’humour juif à son aspect “défensif” : outil de lutte contre l’injustice, dérivatif à la dureté du temps surtout dans un monde hostile, exutoire contre la fatalité. Bref, d’en faire “la langue des désarmés” et, pire, ”la politesse du désespoir”. » À ses yeux, l’humour juif « se veut libérateur et révélateur, témoignage d’optimisme et de joie de vivre, et, dans le même temps, il entend déranger et faire “rire jaune” ». Un point de vue qui trouve écho chez Franck Médioni. Dans son volume Le Goût de l’humour juif, il parle de « rire parfois amer et vengeur mais libérateur » avant d’ajouter : « C’est un mouvement de l’esprit, une source de vie face à l’oppression, les vicissitudes que l’histoire - avec une grande hache comme dit Georges Perec - a fait subir au peuple juif. »

Dans ce voyage au pays de l’humour juif littéraire, depuis son apparition à la fin du XIXe siècle en Europe centrale et de l’Est jusqu’à aujourd’hui, la Shoah fait figure de borne. Il y a un avant et un après Holocauste. Avant, il y a l’humanité, grouillante, truculente, la drôlerie et la cruauté des histoires du yiddishland, ce territoire qui connut les pogroms et vit éclore les talents des grands conteurs que furent Sholem Aleikhem, Moykher-Sforim, Isaac Bashevis Singer.

Après, n’écoutant pas Adorno qui a dit un jour « qu’écrire un poème après Auschwitz est barbare », plusieurs écrivains ont choisi l’humour noir, la farce, le grotesque pour dire l’horreur. Le Hongrois Imre Kertész, survivant d’Auschwitz, Prix Nobel 2002, écrit à la fin d’Être sans destin : « Puisque là-bas aussi, parmi les cheminées, dans les intervalles de la souffrance, il y avait quelque chose qui ressemblait au bonheur. » En 1967, Romain Gary dans La Danse de Gengis Cohn met en scène le tandem hilarant que forment un ex-tortionnaire nazi et sa victime juive devenue son dibbuk, mauvais génie lui pourrissant la vie. Edgar Hilsenrath (lire ci-dessous), en 1972, imagine dans Le Nazi et le Barbier, les tribulations d’un SS qui, pour sauver sa peau, se fait passer pour un survivant juif et pousse l’empathie jusqu’à s’installer en Palestine. Plus près de nous, en 2006, Jonathan Littell achèvera Les Bienveillantes, prix Goncourt, par une scène grotesque dans laquelle son nazi tord le nez de Hitler qui lui tendait la main pour le décorer dans son bunker.

Alain Oppenheim souligne bien à quel point cette forme d’humour décalée, satirique, parodique, a pu susciter la controverse voire la colère dans les milieux juifs. Et de citer les cas d’Irène Némirovsky avec David Golder, du Néerlandais Arnon Grunberg avec Le Messie juif, du Canadien Mordecai Richler avec L’Apprentissage de Duddy Kravitz ou du cultissime Philip Roth avec Portnoy et son complexe. Qui dit Roth dit New York, haut lieu de l’humour juif littéraire sous toutes ses formes. Voici Jerome Charyn, chroniqueur prolifique et attendri du Bronx. Voici Michael Chabon et les créateurs de superhéros, comme Batman, qui firent enrager Goebbels. Voici Shalom Auslander, dont le rire tutoie le blasphème dans La Lamentation du prépuce et touche au cœur dans la nouvelle intitulée Kit de préparation à l’Holocauste pour ados (dans le recueil Attention Dieu méchant). Voici le Russe juif installé à New York Gary Shteyngart, hautement drolatique et provocateur. « Je me présente, Micha Borissovitch Vainberg, trente ans, forte surcharge pondérale, petits yeux bleus enfoncés, ravissant profil juif évocateur des plus remarquables spécimens de perroquets, et lèvres si délicates qu’on aurait tendance à les torcher du revers de la main », écrit-il au début d’Absurdistan. À propos de russe : le plus bel hommage à la lecture d’un texte juif n’est-il pas celui de Gorki, écrivant à Sholem Aleikhem : « En vous lisant, j’ai ri et j’ai pleuré » ?

http://www.massorti.com/Humour-juif

A lire

« L’humour juif - anthologie littéraire ». Édition conçue et présentée par Alain Oppenheim, Omnibus, 1 058 p., 29 €. http://www.librairie-du-progres.com...

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