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Adoption et judaïsme

Adoption et judaïsme

Un phénomène souvent douloureux et délicat, mais une grande mitsva et une chance pour bien des couples et bien des enfants.

A l’origine, l’adoption n’existe pas en tant que telle dans le judaïsme, mais le Talmud   Sanhédrin 19b, déclare : « celui qui élève un orphelin est comme s’il l’avait engendré ». De nos jour le phénomène est assez commun en Israël comme en Diaspora.

Une sociologue en a fait l’analyse dans un ouvrage tout à fait passionnant. Le matériel en dit long également sur l’ensemble de la question des conversions en France aujourd’hui.

Sophie Nizard : Adopter et transmettre

À partir des processus d’adoption par des parents juifs, Sophie Nizard révèle comment se disent l’histoire, la mémoire, la transmission, le rapport entre l’identité religieuse et familiale d’une part et le biologique ou l’hérédité d’autre part. L’ouvrage est largement enrichi de témoignages très parlants.

En ce qui concerne le processus général de conversion des enfants adoptés et les différentes positions des trois courants du judaïsme, voici des extraits particulièrement intéressants :

C’est seulement à partir du IIe siècle que la loi rabbinique considère l’enfant de père non juif comme juif, tandis que l’enfant d’une-mère non juive et d’un père juif ne l’est pas. La matrilinéarité est affirmée dans le Talmud   (Mishna   Kiddoushin 3 : 12).

Trois grands courants religieux peuvent être distingués au niveau mondial : le judaïsme orthodoxe  , le courant massorti   (conservative   en anglais), et enfin le courant libéral (réformé). Le principe de base, qui sert de point de départ à tous, se trouve édicté par la loi, la halakha   : l’enfant de mère (entendue de mère biologique) non juive est non juif.
Un tel enfant sera donc, sauf preuve contraire, considéré comme non juif de naissance, et pourra être converti au judaïsme. C’est en tout cas la position des courants orthodoxes   et massorti  . Dans ces conditions, il pourra renoncer au statut de juif au moment de sa majorité religieuse ou au contraire le confirmer devant témoins. Le rite de bat mitzva ou de bar mitzva est généralement considéré comme acceptation de ce statut.

La position orthodoxe   incline vers la stricte observance. En France, toute conversion orthodoxe   est aujourd’hui traitée par le Beth Din du Consistoire   de Paris. La position orthodoxe   qui semble se dégager est la suivante : on facilite la conversion des enfants adoptés dans des familles orthodoxes  , ou traditionalistes et engagées dans un processus d’orthodoxisation. On décourage la conversion des enfants adoptés par des parents non orthodoxes  , ou non prêts à s’engager dans un processus dit de techouva (retour). En conséquence, c’est la famille entière qui de fait est « convertie », y compris les parents juifs eux-mêmes. Le Beth Din instrumentalise de facto la demande du couple pour imposer une norme de judéité à tous. Ce n’est donc pas un monopole du sens que détient le Beth Din consistorial, mais un « monopole des objets du sens ». (p.33)

Dans les faits, cette position va conduire les parents qui n’ont pas l’ensemble des critères de la stricte observance requis, soit à entrer dans un processus religieux les conduisant au plus près de la norme imposée, soit à occulter leur véritable engagement, soit enfin à abandonner toute démarche de conversion. À la logique d’enquête de l’institution, que suppose l’application de stricts critères de sélection, répond donc une logique d’adhésion, de dissimulation ou d’abandon. Tout entretien avec « l’équipe des conversions », toute rencontre dans les bureaux exigus du Consistoire  , sont fortement appréhendés, y compris par les plus pratiquants. Ce constat interroge la responsabilité de la principale institution religieuse du judaïsme français, dans le traitement de ceux qui s’adressent à elle. (p.34)

La position des conservateurs (massorti  ) en France repose sur l’intention d’éduquer et de transmettre. Pour le rabbin   Krygier, l’adoption ne vient pas en remplacement du commandement de procréation. Cependant, après avoir envisagé les solutions, notamment médicales, d’aide à la procréation, l’adoption doit être encouragée : l’enfant pourra être converti, à partir du moment où les parents s’engagent à lui donner une éducation juive, et en particulier à le préparer à la bar mitzva ou à la bat mitzva. Cette décision est prise après discussion avec les parents, sur leur intention d’élever l’enfant comme un juif. Le critère éducatif est donc déterminant pour l’accès à la conversion. La pratique halakhique des parents adoptifs ne fait pas l’objet d’enquête et sa rigueur ne conditionne pas la conversion de l’enfant adopté. (p.35)

Dans les mouvements libéraux, c’est le rabbin   du lieu qui détient l’autorité religieuse et établit les procédures propres à sa communauté, éventuellement en tenant compte de responsas, mais celles-ci ont simplement valeur de conseil. (p.37)

La reconnaissance du principe talmudique de transmission matrilinéaire du statut de juif unit dans une même vision les orthodoxes   et les conservateurs (massorti  ). Pour les uns comme pour les autres, l’enfant de mère non juive, adopté par des parents juifs, pourra être converti si ses parents le souhaitent. Pour tous, ce passage est accompli par l’immersion rituelle validée par un Beth Din. En revanche, pour les orthodoxes  , la conversion d’un enfant ne peut être accordée qu’au regard de la capacité des parents à élever l’enfant dans la stricte observance des mitzvot (commandements), ce qui pousse logiquement les institutions à s’assurer du mode de vie des parents eux-mêmes. Alors que, pour les massorti  , la seule volonté des parents d’éduquer l’enfant dans la connaissance de la tradition et de lui transmettre une spiritualité juive, notamment à travers la préparation de la bar mitzva ou de la bat mitzva, suffit pour que la conversion soit mise en œuvre. Les réformés ont évolué vers une reconnaissance plus formelle de la judéité de l’enfant adopté par des parents juifs. La réunion d’un Beth Din et l’immersion dans un bain rituel marquent désormais le changement de statut de l’enfant adopté qui sera entre autre « accueilli » au cours d’une cérémonie de présentation à la Torah dont le texte tient compte de la situation d’adoption.

L’expérience de l’adoption place donc toujours les parents adoptifs en position de demander la validation de la judéité de leur enfant par une institution religieuse, cependant que pour eux, leur enfant est juif comme l’aurait été un enfant biologique. Ils doivent donner les preuves qu’ils sont de bons parents et de bons juifs, de bons parents parce que de bons juifs, c’est-à-dire qu’ils sont capables de transmettre à leur enfant un judaïsme conforme à ce que les institutions attendent d’eux. (p.38)

La conversion en milieu libéral ou en milieu massorti   n’est jamais vécue ni racontée comme une épreuve. (p.162)

Sébastien Tank analyse le dispositif bureaucratique consistorial. Il décrit le fonctionnement du bureau des conversions à partir des témoignages qu’il a recueillis auprès de personnes en cours de conversion, ou déjà converties : tentatives de découragement, échanges épistolaires avant toute rencontre avec les rabbins   du Beth Din, convocations successives, enquêtes, interrogatoires, décisions arbitraires … On ne trouve cependant pas, dans l’enquête de Tank sur les prosélytes, la violence des propos que j’ai moi-même recueillis auprès des parents adoptifs à l’encontre du Consistoire  . Dans la majorité des récits, même ceux émanant des plus loyaux, l’image du Consistoire   est réservée voire franchement négative. Il en ressort que la conversion consistoriale française est entre les mains d’un Beth Din, centralisé à Paris, constitué de trois rabbins  , qui appliquent des normes peu explicites apparaissant comme arbitraires, et qui font preuve d’un manque d’écoute et de communication. Consciemment ou non, du fait de leurs pratiques d’enquête et de questionnement, de leur suspicion systématique, de leurs nombreuses maladresses, ils placent parfois les parents adoptifs en position d’humiliation. Ils apparaissent comme incompétents, omnipotents, dénués de sensibilité, voire « pervers ». (p.165)

L’analyse des discours, présentés ici bout à bout, montre à quel point les rabbins   du Beth Din instrumentalisent le moment de la conversion des enfants adoptés pour « convertir » le foyer dans son ensemble, pour exercer une contrainte sur les couples et les familles, sur leurs pratiques religieuses, sur leurs corps – comment se raser, se vêtir, couvrir ses cheveux, manger. (p.181)

Car si la tradition juive, ses pratiques, sa pensée et ses textes font sens pour la plupart des parents adoptifs que j’ai rencontrés, l’institution Consistoire   perd en légitimité, mais elle reste un passage obligé pour accéder à un certain nombre de « biens et services de salut » que je définis comme des objets du sens. (p.182)

Editions de l’EHESS

http://www.editions.ehess.fr/ouvrages/ouvrage/construire-la-parente-deconstruire-les-frontieres/

On lira également : http://www.massorti.com/Adoption-en...

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