C’est un moment important et impressionnant pour moi d’être là devant vous, car c’est aujourd’hui, enfin, que j’atteins ma majorité religieuse. Je vais vous donner mon regard sur la paracha de cette semaine : Behaalotekha.
Dans cet extrait, Moïse est victime de la médisance de sa sœur Myriam et de son frère Aaron ; Dieu consterné par cet affront les convoque tous les trois et punit Myriam, lui infligeant une maladie nommé Tsaraat. Elle est isolée durant sept jours puis sera guérie à la demande de ses frères.
Quelle a été ma déception à la lecture de ce texte ! J’avais de Myriam l’image d’une femme exemplaire et je ne l’aurais jamais imaginée capable de médisance. Cependant la punition que lui inflige Dieu m’a semblé excessive, voire injuste.
Quelle est la nature exacte de la faute de Myriam ? Pourquoi Dieu est-il si sévère ? Pour répondre à ces questions j’ai cherché à comprendre le point de vue respectif de Moïse, de Aaron et de Myriam.
J’ai d’abord essayé de me mettre à la place de Moïse, et me voici assaillie de questions : « Pourquoi ma propre sœur me critique-t-elle ? Pourquoi a-t-elle des paroles désobligeantes envers ma femme ? Est-elle jalouse ? »
La Tora dit : « Vatdeaber Miryam veAaharon beMoché al odot ha-icha hakouchit acher lakach ki icha kouchit lakach ». Soit : « Myriam et Aaron médirent de Moïse à cause de la femme kouchit qu’il avait épousée car il avait épousé une kouchi. »
Que signifie kouchit ?
Le mot est souvent traduit en français par « éthiopienne ».
« Pourtant ma femme n’est pas Ethiopienne mais Midianite. Dans plus de 2000 ans, un grand commentateur nommé Rachi vous expliquera que kouchit signifie BELLE. Car, en effet, Tsipora est très belle ! »
Myriam est-elle donc jalouse de la beauté de Tsipora ? Non ! Lisez le Midrach et vous comprendrez que Tsipora a confié à Myriam un secret concernant notre relation. En effet, j’ai été obligé de délaisser mon épouse pour pouvoir recevoir la parole de Dieu à tout moment. Je peux comprendre que Myriam soit choquée d’apprendre cette séparation mais elle n’a pas le droit de se mêler de ma vie privée et encore moins de la divulguer. Croit-elle vraiment que j’agis par orgueil ?
Plaidoyer de Aaron
Quel est maintenant le point de vue de Aaron ? « Lorsque ma sœur Myriam m’a dit que Moïse avait quitté sa femme pour se consacrer à sa fonction de prophète, j’ai trouvé cela inadmissible. Dans le judaïsme, le mariage est considéré comme un commandement divin et l’abstinence est une faute. Ma sœur et moi sommes aussi prophètes, or nous n’avons pas abandonné la vie conjugale et familiale puisque nous devons donner l’exemple.
Mais Dieu nous a fait comprendre que nous ne pouvons pas nous comparer à Moïse car Dieu l’a choisi pour être son serviteur. Dieu s’adresse habituellement aux prophètes à travers des songes, mais Moïse est le seul à qui Dieu parle face à face. Nous ne devons plus voir Moïse comme notre petit frère mais comme le serviteur de Dieu à qui nous devons respect.
Dieu a puni Myriam de Tsaarat, la plaie qui frappe les médisants, parce que ses paroles blessantes risquaient de répandre une rumeur sur Moïse. Dieu a dû être sévère envers Myriam car elle est un modèle pour le peuple.
Il fallait pourtant que j’intervienne pour la guérir. J’ai dit à Moïse : « Je t’en prie, que Myriam ne devienne pas comme l’enfant mort-né sorti du sein de sa mère ». J’ai dit cela parce qu’elle était blanche comme la neige mais surtout pour rappeler à Moïse qu’elle l’a sauvé lorsqu’il était nouveau-né. D’ailleurs, Moïse n’est pas le seul nourrisson qu’elle a sauvé : en tant que sage-femme elle a aidé un grand nombre de femmes à mettre au monde et à cacher leur bébé.
Vous savez, les mérites de ma sœur sont si grands que grâce à eux nous avons de l’eau en plein milieu du désert. Un puits, dit le Midrach , la suit dans tous ses déplacements. Ce n’est pas pour rien que le peuple n’a pas bougé avant le rétablissement de Myriam. »
Myriam contre la souffrance
Maintenant essayons de comprendre le point de vue de Myriam :
« Quand j’ai appris que mon frère avait quitté Tsipora, cela m’a rappelé la séparation de mes parents à l’époque où Pharaon avait décrété que tous les nouveau-nés garçons hébreux devaient mourir. Mon père avait préféré divorcer plutôt que de risquer de voir un de ses enfants tués. J’étais alors intervenue, lui disant : « Père, ton décret est plus injuste que celui de Pharaon. Ce décret ne vise que les garçons, mais le tien, en empêchant la naissance de nouveaux enfants, vise à la fois les garçons et les filles ». Mon père avait alors ré-épousé ma mère et c’est ainsi que Moïse naquit.
J’ai pensé que pour Moïse et Tsipora, je devais aussi intervenir. D’une part je voyais la souffrance de cette si belle femme et d’autre part il me semblait que Moïse commettait une grave erreur. Non seulement cette séparation ne me paraissait pas justifiée mais en plus je pensais que Moïse qui a une tâche très lourde ne devait pas se priver de l’affection de sa femme.
Je n’ai jamais pu m’empêcher d’agir face à l’injustice et à la souffrance. Je sais que j’ai commis une faute en dévoilant la vie privée de mon frère, mais je croyais vraiment aider Moïse et Tsipora ; Je n’ai pas réalisé que Moïse n’est pas dans la même situation que moi, car Dieu en a fait un homme à part. Peut être qu’un jour une jeune fille, à l’occasion de sa bat-mitsva, vous expliquera mon point de vue et celui d’Aaron et de Moïse. Mais quel sera son point de vue à elle ? »
Le sens caché du texte…
A présent que j’ai étudié ce texte en essayant de comprendre les motivations et les sentiments de chacun, je suis consciente d’avoir jugé Myriam trop vite ; il ne faut pas se fier aux apparences. Myriam me donne une grande leçon : nous commettons tous des fautes mais l’important c’est de comprendre que nous pouvons en commettre même lorsque nous pensons avoir raison et même lorsque nous avons effectivement raison. Le fait de le dire devant tous nous fait avoir tort. Rumeurs, humiliation et discorde. C’est le risque que nous prenons.
Pour finir et surtout pour remercier ceux qui sont près de moi chaque jour, ceux, ici, qui m’ont accompagnée pour ma bat-mitzva et vous tous qui me faites honneur aujourd’hui, j’aimerais vous citer quelques vers de Jacques Brel :
« Je vous souhaite des rêves à n’en plus finir et l’envie furieuse d’en réaliser quelques uns. Je vous souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer et oublier ce qu’il faut oublier. Je vous souhaite des passions. Je vous souhaite des silences. Je vous souhaite des chants d’oiseaux au réveil et des rires d’enfants. Je vous souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence, aux vertus négatives de notre époque. Je vous souhaite surtout d’être vous ».
Merci.