A l’époque de Leonid Brejnev, le réputé chef d’orchestre du Bolchoï a été licencié en pleine gloire pour avoir refusé de se séparer de ses musiciens juifs. Trente ans plus tard, alors qu’il est homme de ménage, il intercepte par hasard un fax du Théâtre du Châtelet invitant l’orchestre officiel du Bolchoï à venir jouer à Paris.
Il imagine alors une supercherie : se faire passer pour le Bolchoï en réunissant ses anciens musiciens et venir jouer le concert pour violon et orchestre de Tchaïkovski, oeuvre qu’il chercha jadis à interpréter jusqu’à la perfection avant que la politique totalitaire de Brejnev ne l’en empêche. La violoniste avec laquelle il peaufina l’œuvre de Tchaïkovski étant morte, il sollicite pour la remplacer une virtuose française, Anne-Marie Jacquet.
Cette revanche d’artistes humiliés, mis au ban de la société, donne lieu à trois épisodes. Les deux premiers sont teintés de burlesque. Ils relatent l’activisme effréné du chef d’orchestre et de son manager pour convaincre des "has been" de reprendre leurs instruments, leur ratissage de semi clodos et gitans, le déploiement de ruses, trafics et systèmes D pour obtenir costumes, chaussures, passeports, visas. Puis le débarquement de cette tribu hétéroclite dans la ville Lumière, son indiscipline, ses mœurs de barbares de l’Est dans un pays civilisé. Le parler-français de ces moscovites en goguette concourt à la cocasserie des situations.
Placé sous le registre du lyrisme et de l’émotion, le troisième épisode retrace le concert, avec un triple suspense. L’orchestre "bidon" pourra t-il jouer le Concerto au nez et à la barbe du directeur du Bolchoï qui, malencontreuse coïncidence, est venu passer des vacances à Paris et a découvert les affiches du Châtelet ? Les bras cassés se faisant passer pour les musiciens officiels parviendront-ils à trouver l’harmonie avec une soliste qu’ils ne connaissent pas ? Qui est donc cette violoniste star obsédée par sa carrière mais traînant une blessure d’orpheline ignorant tout de ses parents ?
Parfois poussive, portée par une énergie typiquement slave, l’épopée trouve sa vraie raison d’être artistique dans ce dernier quart d’heure qui dénoue les nœuds de l’intrigue et sublime cette fameuse idée d’une "ultime harmonie", illustrant l’instant magique où le violon entraîne l’orchestre, où l’individu et le collectif ne font qu’un.
En filigrane, on retrouve l’idée forte du cinéma de Radu Mihaileanu, fils d’un juif roumain ayant dû changer de nom pour survivre : celle de la fatalité de devoir se faire passer pour ce qu’on n’est pas afin d’imposer son identité. Train de vie, son premier film, retraçait le périple d’un groupe de juifs créant un faux train de déportés pour échapper aux nazis. Va, vis et deviens montrait un "tricheur", gosse éthiopien réfugié au Soudan, que sa mère faisait passer pour juif afin de le faire bénéficier de l’opération Moïse grâce à laquelle huit mille falashas furent transférés en Israël...
En ces temps d’individualisme à tous crins, il conjugue ici son obsession de l’imposture rédemptrice avec une réflexion sur la beauté des combats solidaires.