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Les dangers de la pensée unique.

Les dangers de la pensée unique.

Notre maître Manitou, le Rav Léon Yéhuda Askénazi zatsal, avait coutume de dire que nous sommes tellement habitué à lire la Torah que notre vision en est déformé.

Ainsi prenait-il en exemple la fin de notre parasha  , Noah et le début de la prochaine, Lekh Lekha. Parce que nous sommes habitués au découpage en parasha  , nous oublions de relier le fait que Terach, père d’Avraham, avait déjà commencé à partir vers la terre d’Israël à la fin du chapitre 11, avec le fait bien connu de l’arrivée d’Abraham sur cette même terre, au début du chapitre 12.

C’est à une autre succession de chapitres que nous voudrions nous consacrer. Le chapitre 11 de la Genèse, à la fin de notre Parasha  , raconte l’histoire de la tour de Bavel et de ce qu’on appelle en hébreu "dor haplaga", la génération de la partition. Nous savons tous, en effet, que pour prévenir les mauvaises intentions des hommes, venus défier Dieu et tenter de conquérir les cieux, Dieu sépara leurs langues, comme il est dit au verset 7 : "allons descendons et mélangeons leur langue, afin que l’un ne puisse plus comprendre la langue de l’autre". Nous sommes tellement habitués à cette histoire, souvent apprise dans notre petite enfance, que nous oublions de relier notre lecture à ce qui est écrit dans le chapitre précédent. En quelque sorte, en nous focalisant sur un passage précis, nous oublions de le remettre dans son contexte.
Le chapitre 10 nous décrit les engendrements des enfants de Noé, l’apparition de ce que nous appelons les 70 nations. Cependant, un détail dans cette liste de peuples nous frappe. Ces groupes humains sont divisés par le texte en trois : les enfants de Japhet, de Cham et de Shem. Pour chacun de ces trois grands groupes humains, il est précisé que qu’ils sont organisés selon "leurs familles, leurs langues, sur leurs terres et selon leurs peuples". Selon leurs langues ? Mais n’est-ce pas plus tard, dans l’histoire de la tour de Bavel que se produit cette division ?

Pour résoudre cette question, il nous faut tout d’abord passer par la langue hébraïque. Il existe en effet deux termes en hébreu pour parler d’une langue parlée : lashon et safa. Or dans le chapitre 10, la division est celle des "leshonot", que nous traduirons ici par langue, tandis que dans le chapitre 11 le terme employé est celui de "safa" que nous
traduiront ici par langage. En quelque sorte, le reproche fait à la génération de la tour de Bavel n’est pas d’avoir eu "une même langue", mais celle d’avoir eu "un même langage". Ceci est très bien illustré par le premier verset de ce récit de la tour de Bavel : "toute la terre était une même langue et des paroles uniques (dvarim akhadim)".
Illustrons notre propos par un exemple contemporain. Je peux me promener telle semaine dans les rues de Tel-Aviv, la semaine d’après à travers celles de Paris, la suivante dans les ruelles de Prague pour terminer mon périple quelques jours après sur les Ramblas de Barcelone. A chaque fois, j’aurai parlé dans une langue différente : hébreu, français, tchèque, espagnol. Mais pourtant le langage aura été très commun : mêmes magasins, souvent présentés exactement de la même manière, même type de fastfood, programmes identiques dans les cinémas, même habillement dans les rues, et souvent, mêmes titres dans les journaux. Comme si les différences s’estompaient, comme si tout était partout pareil.

Du point de vue de la Torah, ce "comportement unique" qui aboutit souvent à une "pensée unique" témoigne d’une situation dangereuse. Si chaque peuple a reçu de Dieu une langue distincte à développer sur un territoire particulier, c’est pour que chacun puisse développer de manière autonome son propre génie culturel, son propre langage. "Egalité du genre humain" mais "spécificité de chaque peuple" sont les deux messages qui émanent de la juxtaposition de ces deux chapitres 10 et 11 de la Genèse. C’est dans le respect de notre diversité que nous pourrons servir Dieu, tandis que la tentative d’unir le genre humain autour d’une seule manière d’être aboutit à une confrontation avec l’ordre cosmique divin, fondé sur la pluralité. C’est cela que nous raconte l’histoire de la tour de Babel, et c’est ce danger que nous devons combattre : à l’extérieur, contre ceux qui voudrait ôter au Judaïsme son authenticité et son originalité, mais également à l’intérieur, contre ceux qui, se prenant pour les porte-paroles autorisés de Dieu, prétendent réduire le Judaïsme à une pensée unique en oubliant que son fondement se trouve dans le génie particulier de ces différentes tribus. C’est ce message d’un pluralisme compris comme véritable consigne d’identité que Manitou nous a transmis, à condition, comme il le précisait, que chaque engament soit en lui-même authentique.

Rabbin   Alain Michel – Rabbin   Massorti   à Jérusalem et historien

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