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Manuscrits de la mer Morte

Manuscrits de la mer Morte

Article de Mireille Hadas-Lebel. -

"Mystère et scandale"

Il y a maintenant près d’un demi-siècle que sont apparus dans l’univers savant les manuscrits dits de la mer Morte, découverts à partir de 1947 sur le site de Qumran, au sud de Jéricho, et l’on peut dire que jamais découverte archéologique n’a suscité autant d’ouvrages, d’articles, de polémiques et de fantasmagories. Pêle-mêle, la rubrique "qumranologie" -puisque cette découverte a même donné naissance à un terme nouveau- doit comporter une centaine de milliers de titres correspondant à des publications de toute longueur, de toute nature et de tout sérieux. Pour savoir à quel auteur se vouer, le lecteur doit désormais se prémunir contre la rumeur, le sensationnalisme, le charlatanisme avec lesquels l’archéologie a généralement peu affaire.

Les causes de cet excès d’intérêt sont de deux ordres. L’une tient à la datation la plus probable de ces textes hébreux et araméens qui seraient de peu antérieurs à l’apparition du christianisme. Le sujet est donc sensible pour tous ceux qui, dans les optiques parfois les plus opposées, se passionnent pour les origines chrétiennes et attendent de ces sources nouvelles des révélations et peut-être même "une bombe théologique". L’autre tient à l’ébullition involontairement entretenue par les lenteurs d’une équipe chargée de déchiffrer les manuscrits de la "grotte 4" : des délais naquit la suspicion, de la suspicion la rumeur, de la rumeur les accusations, les campagnes de presse, bref, le scandale. Révélations potentielles, scandale bien réel, voilà donc réunis autour de quelques centaines de vieux rouleaux de cuir ou de parchemin parfois réduits à l’état de miettes, tous les ingrédients de la célébrité.

Les premières découvertes et leur impact

Rouleau des Hymnes
Rouleau des Hymnes (1QH),"Journal of Jewish Studies 39 (1988) 38-40.

C’est en 1947 que les premiers manuscrits de Qumran apparurent sur le marché. Leur authenticité était encore à prouver, c’est pourquoi ils suscitèrent d’abord la méfiance des premiers orientalistes consultés par le métropolite jacobite de Jérusalem Mar Athanase Samuel. Averti un peu plus tard, le professeur Eliezer Sukenik de l’Université Hébraïque de Jérusalem prit le risque d’acheter, pour son institution, trois rouleaux proposés par un antiquaire arabe, ainsi que deux jarres. La transaction se fit le 29 novembre 1947 pendant que l’Assemblée Générale de l’ONU réunie à Lake Success votait le partage de la Palestine -qui se trouvait depuis 1922 sous le mandat britannique- et donc la création d’un Etat juif. Au terme de la guerre d’indépendance d’Israël, Jérusalem fut coupée en deux de façon étanche et les manuscrits restés en possession de Mar Samuel au couvent Saint Marc, entre-temps authentifiés par des archéologues américains, furent offerts à la vente, aux Etats-Unis, par une petite annonce dans le Wall Street Journal et rachetés pour le compte de l’Etat d’Israël en 1954. Tous ces manuscrits se trouvent réunis depuis 1956 dans un "Temple du livre" situé dans l’enceinte du musée national d’Israël à Jérusalem.

E.Sukenik

Aucun mystère ne plane donc sur ces premiers textes déchiffrés depuis longtemps. Dès 1951, les savants américains Burrows, Trever et Brownlee éditaient trois sur quatre des manuscrits conservés au couvent Saint Marc : il s’agissait du texte biblique d’Isaïe, d’un commentaire du petit prophète Habacuc et d’un écrit totalement inconnu que l’on appela le Manuel de discipline ou le Rouleau de la Règle. Quant aux manuscrits sur lesquels avait travaillé Sukenik, et publiés en 1954, peu après sa mort, ils renfermaient outre un second rouleau d’Isaïe, deux écrits nouveaux : un recueil d’hymnes ou Hodayot et la description d’un combat apparemment eschatologique qui fut intitulé "la Guerre des fils de lumière contre les fils des ténèbres" .

La datation et l’attribution de ces textes furent alors fort débattues. L’opinion défendue parallèlement par E.Sukenik en Israël , André Dupont-Sommer en France et F.M.Cross aux Etats-Unis, sur la base de ces premières découvertes finit par se généraliser : les écrits non bibliques inconnus reflétaient vraisemblablement l’enseignement ésotérique d’une secte juive -les Esséniens- attestée au Ier siècle par divers écrivains, juifs comme Philon d’Alexandrie ou Flavius Josèphe ou païens comme Pline l’Ancien qui a laissé, dans son Histoire Naturelle, une description des bords de la mer Morte. Les très nombreuses similitudes entre le Rouleau de la Règle et le mode de vie essénien décrit par Flavius Joséphe encourageaient vivement cette hypothèse. On supposait donc qu’un groupement essénien établi à Qumran avait mis à l’abri ses textes les plus sacrés, à l’approche des troupes romaines en l’an 68 et qu’il avait disparu dans la tourmente sans laisser à quiconque le secret de la cachette.

On voit bien l’enthousiasme que pouvait susciter chez les savants israéliens ou juifs cette découverte qui survenait à un tel moment de leur histoire -encore faut-il préciser que le milieu des plus traditionalistes, indifférent sinon hostile à l’archéologie, ne s’intéressa jamais outre mesure à cette secte dissidente disparue depuis près de deux mille ans. Le monde chrétien -historiens, biblistes ou archéologues- lui, se passionna pour les nouveaux documents, ce qui explique le nombre considérable de publications sur Qumran parues dans la première décennie après la découverte.

L’étude des origines chrétien¬nes, qui recoupe largement celle du judaïsme à l’époque de Second Temple, stagnait depuis plus d’un demi-siècle. On avait mis à contribution les sources extra-canoniques -apocryphes, pseudépigra¬phes- les sources gréco-latines ou même parfois -au prix de quelque anachronisme, les sources rabbiniques, et l’on s’était persuadé comme Renan, lui-même auteur d’une vaste série historique sur les origines du christianisme, qu’on ne trouverait plus aucun autre document. Et voilà que des écrits "contemporains du Christ" étaient miraculeusement mis à jour. Ils avaient sans nul doute un secret à livrer.

Le rattachement de ces textes à la secte essénienne réveillait en outre de vieilles idées qui n’avaient jamais pu être prouvées. Les Esséniens étaient-ils des chrétiens comme le croyaient les pères de l’Eglise impressionnés par leur pratique de la communauté des biens et leur vie quasiment monacale telle qu’elle est décrite par Philon ou Josèphe ? ou à l’inverse fallait-il faire de Jésus un essénien et du christianisme "un essénisme qui a largement réussi" suivant la célèbre formule de Renan ?

Cette problématique explique que l’intérêt se soit particulièrement concentré sur un aspect parmi tant d’autres révélés par les manuscrits. Les membres de la secte de Qumran entretenaient le souvenir d’un "Maître de Justice" au nom inconnu, en rupture avec le judaïsme officiel du Temple, présenté comme le serviteur souffrant d’Isaïe 52-53 qui aurait été persécuté par le "prêtre impie" et peut-être même crucifié comme le suggérait l’expression "suspendu vivant sur le bois" que d’aucuns voulaient lui appliquer. A supposer que le prêtre impie fût un personnage historique connu, son identification pouvait avoir une grande importance suivant qu’il eût été ou non contemporain de Jésus, mais la plupart des hypothèses formulées le situaient soixante, cent ou cinquante ans auparavant. D’où il résultait que le Maître de Justice était une préfiguration de Jésus et les esséniens une préfiguration des premiers chrétiens. Une hypothèse à double tranchant pour le christianisme car elle pouvait aussi bien contribuer à nier l’originalité du message chrétien -on vit soudain fleurir les études qumraniennes dans l’Europe communiste où les études bibliques étaient par ailleurs bannies- qu’à mieux le comprendre en l’ancrant davantage dans son milieu natal. Il y eut peut-être de ce fait une certaine tendance à christianiser les Esséniens en soulignant des parallèles un peu forcés entre les écrits de Qumran et les Evangiles. Ainsi se comprend l’émotion que, jusqu’ aujourd’hui, suscitent les publications relatives à Qumran quand elles parviennent au grand public.

 Naissance et croissance d’une rumeur

A cet intérêt légitime s’ajoute un élément de curiosité dû à l’atmosphère malsaine qui s’est créée autour de la publication d’une autre série de documents qumramiens restés longtemps inédits. N’a-t-on pas beaucoup dit et écrit, surtout depuis 1987, que "la découverte archéologique du siècle était en passe de devenir le scandale scientifique du siècle ?

Pour comprendre l’enjeu, il nous faut revenir au début des années cinquante. La Cisjordanie et Jérusalem-Est avaient été annexées en 1949 par le royaume de Jordanie et de ce fait, Qumran se retrouvait en territoire jordanien. La grotte où avaient été découverts les premiers manuscrits fut repérée par un officier belge de l’ONU aidé de la légion arabe puis fouillée sous la supervision du directeur des Antiquités de Jordanie Harding et du dominicain R. de Vaux, directeur de l’Ecole biblique et archéologique française située à Jérusalem-Est. Elle ne livra plus que quelques fragments de parchemin et de poterie. De nouveaux manuscrits étant apparus sur le marché, le P. de Vaux se mit à explorer systématique¬ment le site de Qumran et découvrit en 1952 les grottes 3 et 5, puis en 1955 les grottes 7,8,9, et 10, tandis que le Bédouins, auteurs de la première découverte, repéraient quatre autres grottes, la 2, la 4, la 6 et la 11.

La plupart de ces documents devaient être rapidement édités dans la prestigieuse collection d’in folio publiée par Clarendon Press d’Oxford sous le patronage de l’Ecole Biblique de Jérusalem. Les deux premiers volumes portaient le titre de Discoveries in the Judaean Desert, les trois suivants (1962 à 1968) ajoutèrent la mention "of Jordan" car la Jordanie considérait désormais les manuscrits de Qumran comme patrimoine national. Entre temps, une nouvelle guerre avait éclaté dans la région et depuis juin 1967, Jérusalem-Est -avec le musée Rockefeller où étaient entreposés les manuscrits après 1949- se trouvait aux mains des Israéliens. L’hostilité politique ouverte de P. de Vaux, qui ne voulait pas renoncer à la mention "of Jordan", retarda quelque peu -jusqu’à sa mort en 1971- les publications d’Oxford. Parallèlement, la petite équipe de huit membres -six catholiques, un protestant (Cross), un agnostique (Allegro)- qu’il avait mise sur pied pour publier les quelques quinze mille fragments minuscules de la grotte 4, avait cessé de se réunir après avoir identifié la plupart des manuscrits, les avoir disposés en planches et photographiés.

La publication de textes mutilés est, l’on s’en doute, bien plus ardue que celle de textes continus. Il fallut treize ans à Allegro pour publier son lot de commentaires exégétiques, dix-huit ans à l’abbé Baillet (remplaçant le P. Hunzinger décédé) pour préparer le sien. Quant à l’abbé Milik, qui avait reçu plus de 150 manuscrits non bibliques apocryphes et écrits de secte -donc précisément des textes dont on pouvait attendre du nouveau-, il tardait inexplicablement, après quelques publications mineures (huit manuscrits du livre d’Hénoch 1976 et 22 planches de mezuzot). L’abbé Starcky était encore moins productif (un seul texte araméen publié par ses soins ; il finit par confier ses textes à Emile Puech). C’est ainsi que commença à naître et s’alimenter la rumeur, répandue au départ par John Allegro qui s’était discrédité pourtant en 1970, en publiant un ouvrage intitulé "The sacred mushroom and the cross" où il démontrait que le christianisme était le produit d’un champignon hallucinogène ? Aux nombreuses interrogations soulevées en 1977 lors d’un colloque réuni pour célébrer le trentième anniversaire de la découverte de Qumran, il répondit par des allégations suivant lesquelles, la rétention de l’information était commandée par la hiérarchie catholique afin d’occulter des textes dangereux pour la foi chrétienne.

A partir de 1984, une nouvelle revue archéologique américaine, la Biblical Archaeology Review fit des manuscrits de la grotte 4 son cheval de bataille. La rumeur répercutée par la grande presse se répandit. Les autorités israéliennes qui jusque là s’étaient discrètement tenues à l’écart, furent sommées de lever le monopole de la petite équipe d’origine (entre-temps renouvelée par cooptation mais maintenue à huit chercheurs et interdite d’accès à tout juif). Le nouveau directeur de l’équipe, John Strugnell, nommé en 1987 à la mort du P. Benoit, avait bien commencé à consulter quelques collègues israéliens, mais un jour, pris de boisson, il tint à un journaliste des propos antisémites et finit par être interné dans un hôpital psychiatrique de Boston.

C’est ainsi que, sous la pression du BAR, de diverses résolutions de savants réunis lors de colloques internationaux (Mogilary en Pologne et Princetonn 1989, Californie et Jérusalem 1990), J.T.Milik finit par se départir de quelques textes, une nouvelle équipe élargie à 55 membres fut constituée sous la direction d’Emmanuel Tov (Université Hébraïque) assisté de Ullrich (Université Notre Dame USA) et Emile Puech (Ecole Biblique) et, enfin, à la fin de l’automne 1991, les microfilms des manuscrits qui avaient été déposés dans quatre bibliothèques (trois aux Etats-Unis et une à Oxford) commencèrent à circuler à l’initiative de la Bibliothèque de Huntington, très vite suivis par la publication de deux gros volumes comprenant 1785 planches photographiques des fragments de la grotte 4. A défaut de pouvoir éditer très vite l’ensemble de ces fragments, on disposait aussi désormais grâce à la nouvelle équipe d’un inventaire attendu depuis des années, et de la liste des chercheurs avec les textes dont ils avaient la responsabilité.

Au moment même où la situation commençait à être assainie, la rumeur atteignait son point culminant dans l’ouvrage de deux journalistes anglais M. Baigent et S .Leigh The Dead Sea scrolls deception (Simon and Schuster 1991) qui n’hésitait pas à mettre en cause Mgr Ratzinger. La thèse d’un complot -en l’occurrence celui du Vatican- a toujours des partisans et le livre se vendit bien. La réalité prosaïque faite d’impéritie et de rémanences du vieil odium theologicum de l’Eglise, avait sans doute moins de séduction.

 Qumran et le christianisme primitif

Les soupçons exprimés impliquent un lien des écrits de Qumran avec le christianisme primitif. Or, la plupart des éditeurs de textes qumraniens se contentaient d’expliquer ces textes pour eux-mêmes, tout lien avec le milieu chrétien paraissant anachronique. Les similitudes parfois soulignées avec le Nouveau Testament, se justifiaient fort bien par des sources bibliques communes et par l’atmosphère de l’époque qui, dans la plupart des courants du judaïsme se caractérisait par une attente fiévreuse du Royaume de Dieu. On observait néanmoins une différence essentielle entre le caractère ésotérique de ces écrits et le caractère populaire de la prédication chrétienne.

L’hypothèse "régnante" continue aujourd’hui d’être celle de l’essénisme de la secte qumranienne, mais ce consensus, jugé quasi "totalitaire" par certains a pu être brisé récemment par l’américain Golb qui voit dans les écrits de Qumran une collection disparate provenant de la bibliothèque du Temple de Jérusalem. Parallèlement, à défaut de la vieille théorie qui faisait du christianisme un essénisme, d’autres ont voulu démontrer -et ce dans les optiques les plus opposées- que la secte de Qumran était bel et bien chrétienne ou judéo-chrétienne.

La plus curieuse est le bruit fait autour d’un minuscule fragment de papyrus très abîmé trouvé dans la grotte 7, qui comporte sur cinq lignes une dizaine de lettres grecques discontinues. Le seul mot identifiable à la ligne 3 est "" et, à la ligne 4, on lit "". Cela suffit au P. O’Callaghan en 1972 pour reconstituer un passage de l’Evangile de Marc (VI, 52-53) "et ayant traversé ils arrivèrent à Gennésareth". La question a rebondi tout récemment sous l’impulsion du P. Thiede de Wuppertal lors d’un congrès réuni à l’Université catholique d’Eichstätt en Bavière du 18 au 20 octobre 1991 et dont les actes sont parus en octobre 1992. Cette faible base a suffi à certains participants pour affirmer que les Esséniens s’étaient faits chrétiens après avoir entendu la prédication de Jean le Baptiste. Ces conclusions n’ont pas manqué d’être répercutées par les milieux les plus intégristes (cf La Contre-Réforme catholique au XXème siècle n°294) qui voient dans le "trésor chrétien de la septième grotte" un moyen d’en finir avec la "fausse science des modernistes". Le même Thiede a encore fait parler de lui en affirmant au Times le 24 décembre 1994 que trois fragments de l’Evangile de Matthieu conservés à Oxford et datés généralement de la fin du IIème siècle ou III ou IV siècles, remonteraient en vérité au début du Ier. L’enjeu étant, on l’aura compris, de prouver contre la critique néo-testamentaire enseignée dans les facultés de théologie, que la rédaction des Evangiles est à quelques années près contemporaine de Jésus.

Dans les domaines où la connaissance tâtonne encore, il est aisé à tout défenseur d’une opinion isolée de se poser en victime de son non-conformisme et de l’ostracisme d’une clique organisée. Tel est le cas de Pr. Robert Eisenman de l’Université d’Etat de Californie, auteur avec Michaël Wise de l’Université de Chicago d’un ouvrage traduit en français sous le titre : Les manuscrits de la mer Morte révélés (Fayard 1995), où il s’insurge à son tour contre la "théorie essénienne" dominée par les savants "officiels". Le point de départ de son livre est l’expérience cuisante qu’il eut en 1985 quand il demanda à avoir accès aux fragments du Document de Damas découverts dans la grotte 4 et détenus par le "cartel" de l’Ecole Biblique. Après sa déconvenue, il reçut nous dit-il par des voies détournées, des photographies de divers fragments de la grotte 4, de sorte qu’il se trouva prêt à les publier quelques mois avant que le libre accès aux documents fut enfin autorisé à l’automne 1991.

L’ouvrage, finalement paru aux Etats-Unis en 1992 rassemble exactement cinquante textes en transcription hébraïque "carrée" assorties de traduction, notes et commentaires. Une pareille présenta¬tion n’augure pas d’un grand succès de librairie et pourtant le livre se vend fort bien, en original ou en traductions.

Comme nous en avertit d’emblée l’introduction, les thèses des deux co-auteurs, quoique appuyées sur les mêmes textes, comportent quelques nuances sensibles. Tous deux s’accordent à reconnaître le caractère zélote et/ou messianique de ces textes, mais l’un d’eux [Eisenman] irait plus loin que l’autre dans le sens d’une théorie "zédokite", "sadducéenne" et/ou "judéo-chrétienne". Seul bien évidemment le dernier terme est capable d’attirer l’attention du grand public et d’éveiller son intérêt.

Sur quoi se fonde Eisenman pour affirmer la couleur "judéo-chrétienne" de ces écrits ? Essentiellement sur un fragment de cinq lignes et demie qu’il a lui-même publié hâtivement en 1991 en soutenant qu’il contenait la référence au jugement et à la mise à mort d’un Messie descendant de David. Cela lui a valu la vive réaction de ses collègues -notamment le professeur Vermes d’Oxford- qui lisent "et le chef de la Communauté, le rameau de David le tuera" là où lui lit "et ils tueront le rameau de David". Il faut honnêtement avouer que les deux lectures sont possibles dans un texte hébreu non vocalisé, mais la suite, où il est question du massacre de "Kittim" justifie plutôt l’interpréation de Vermes qui voit dans ce passage un fragment du Rouleau de la Guerre décrivant la victoire finale des ............du Bien contre l’ennemi eschatologique. Dans les manuscrits de la mer Morte révélés, l’introduction d’Eisenman à ce désormais célèbre fragment dit du "pierced Messiah" (4Q285 selon le code des qumranoloques) implique une attitude plus prudente que dans ses premières révélations : son point de vue en ressort totalement obscurci et je défie un profane d’y comprendre quelque chose.

Quant à l’attribution "saddu¬céenne", elle se fonde sur un fragment (4Q448) en réalité composé de deux textes dont quelques versets du psaume 154 qui commence par les mots "une prière (et non un "pèan" comme on le lit dans la traduction !) pour le roi Jonathan". Ces quelques mots déchiffrés par un jeune chercheur israélien à qui Strugnell a eu l’élégance de laisser la primeur de la publication, ont suscité un grand émoi dans le petit monde des qumranologues . On ne s’attendait guère à trouver chez des Esséniens une prière pour un roi, Alexandre Jannée dont Jonathan est le nom hébreu, qu’ils étaient censés haïr. Mais ce roi est connu pour être le grand persécuteur des pharisiens et sur le plan légal du moins, la secte de Qumran rejetait les pratiques des pharisiens au profit de celles des Sadducéens comme le montre un autre texte publié récemment (MMT cf ch. VI "Des oeuvres comptées comme justice"). Il faut aussitôt ajouter qu’à l’inverse, elle était beaucoup plus proche des pharisiens sur le plan de la doctrine eschatologique. S’accorder avec les Sadducéens sur certains points ne signifie pas "être sadducéen".

Que la secte soit "messianique" rien d’étonnant. Qui ne l’était pas alors en Judée ? La relecture du Livre de Daniel et celles des apocryphes entretenaient la fièvre messianique dans divers milieux. Cela ne suffit pas à faire des gens de Qumran des chrétiens et "zélotes " de surcroît. Certes ils croyaient comme beaucoup de leurs contemporains que la fin des temps serait précédée de la guerre de Gog et Magog annoncée par Ezéchiel et qu’elle était imminente. Les premiers chrétiens y ont sans doute cru aussi. Pour le théologien anglais Brandon qui fit scandale en soutenant, il y a déjà un quart de siècle, la thèse d’un Jésus zélote nationaliste, les Evangiles même fournissaient des éléments en ce sens.

Cette avalanche de dénominations "zélotes, messianiques, sadokiks etc ..." appliquée aux hommes de Qumran, au lieu des désormais trop conventionnel "ésseniens", achève d’obscurcir un problème bien difficile. La nomenclature est sans importance et en l’occurrence peu "pertinente" affirment nos auteurs (p. XV). En vertu de quoi il nous faut accepter que les textes de la grotte 4 soient tout cela à la fois et admettre à partir des indices les plus ténus et superficiels tels l’usage de termes comme "justice", "piété", "justification", "oeuvres", "pauvres", "mystères" (p ; XIV) que les idées en correspondent à celle du "christianisme de Jacques" tel qu’il apparaît dans l’épître qui est attribuée à Jacques dit "le Mineur" ou "frère des Seigneurs", considéré comme le chef de file des judéo-chrétiens.

La plupart des autres textes du recueil d’Eisenman et Wise concernent des problèmes moins passionnants pour les non-spécialistes et leur lecture entrecoupée de points de suspension dus aux lacunes de l’original risque de s’avérer ardue et bien décevante. Ce recueil peut néanmoins être utile parce qu’il rassemble des textes nouveaux, sous une forme maniable -encore faut-il noter qu’une moitié d’entre eux était déjà connue par des publications séparées au moment de la parution de l’ouvrage en 1992 et que, trois ans plus tard, la traduction française n’apporte plus grand chose d’inédit.

En dépit de l’impatience bien compréhensible de certains, il faudra encore quelques années d’un travail philosophique assidu et discret pour avoir une idée d’ensemble des 580 manuscrits de la grotte 4, et surtout parmi eux des 463 textes non-bibliques dont on attend beaucoup. Déjà certains fragments nuancent l’image de la secte de Qumran que la majorité des spécialistes continue de croire essénienne.

En fait, la "révélation" annoncée est depuis longtemps derrière nous.

Mireille HADAS-LEBEL

Les manuscrits sur internet

Dans le cadre d’un partenariat noué en octobre 2010 avec Google, qui a mis son centre de R&D israélien au service du projet, les rouleaux de papyrus sont accessibles et consultables gratuitement sur le site DeadSeaScrolls.org. [pour prolonger vos connaissances sur les dizaines de manuscrits découverts dans le désert égyptien, dont l’Evangile de la femme de Jésus, lire le dossier de Sciences et Avenir n°791, en kiosque à partir de jeudi 20 décembre].

Le projet avait commencé par la mise en ligne de cinq rouleaux, comme Sciences et Avenir l’avait raconté en juin 2011 : le Rouleau d’Isaïe, le plus complet, le mieux conservé et le plus long des manuscrits, le rouleau de la guerre, vision eschatologique entre les forces de la lumière et celle des ténèbres, le Commentaire d’Habakkuk, le rouleau du Temple, et le rouleau de la Règle de la Communauté, sorte de manuel de discipline. Ils sont toujours consultables sur un autre site.

On les retrouve également sur DeadSeaScrolls.org avec des fragments de La Genèse, les Dix commandements, le Lévitique, les Psaumes, le Livre de Daniel, le livre des Petits Prophètes... Au total, 930 manuscrits, composés de 30.000 fragments.

Tous sont lisibles depuis une fenêtre interactive permettant de faire défiler chaque papyrus, de zoomer, d’afficher en plein écran. L’internaute peut effecteur ses recherches sur un fragment en particulier soit à partir de la langue d’écriture (hébreu, araméen, grec, nabatéen), soit à partir du contenu soit à partir du lieu où le papyrus a été découvert.

Il s’agit du premier projet depuis les années 50 de photographie des manuscrits de la mer Morte dans leur ensemble. Il s’est appuyé sur une technologie de photographie haute définition en plusieurs longueurs d’ondes (allant de l’ultraviolet à l’infra-rouge) de la société américaine MegaVision, utilisant elle-même une technique inventée par la Nasa. Un moyen d’éviter tout dommage pour cause de flash

Le rendu procure un niveau de détail équivalent aux papyrus originaux, mais avec la possibilité de naviguer dans les textes et de les examiner au plus près sans risquer de les abîmer. La numérisation a eu lieu dans les laboratoires de l’Autorité israélienne des antiquités.

Messages

Manuscrits de la mer Morte

J’ai lu le livre de Norman Golb, et il ne suggere nulle part qu’il s’agit de la bibliotheque du "Temple". Il dit que les manuscrits proviennent de multiples bibliotheques de la region de Jerusalem, dont peut-etre en partie le Temple, et qu’il furent caches quand la ville fut assiege et mis a sac en l’an 70 ; mais il souligne que le nombres d’idees contradictoires dans les textes exclut toute solution unifiante du genre "le Temple".

Cela me semble plus qu’un peu etrange de la part de Mme. Hadas-Lebel de donner de faux renseignements sur la theorie d’un autre chercheur, surtout dans ce cas, ou l’hypothese du Temple est explicitement rejette par Golb dans tout un chapitre de son livre (ce qui n’a pas empeche ce mensonge d’etre dissemine par plein de monde). Elle doit le savoir tres bien, mais elle ne veut peut-etre pas que la theorie de Golb paraisse trop convaincante.

Manuscrits de la mer Morte

Bonjour ,
Je ne suis qu’un catholique de base , un quidam, si vous préférez . Ma question est la suivante : qu’y a-t-il de secret dans les manuscrits que le vatican craint de dévoiler ?
J’ai entendu dire et lu que , cela remettrait en cause ,l’existence même du christ ?
Est-ce exact ,
Par avance je vous remercie de me répondre et vous prie d’accepter l’expression de sentiments les meilleurs.

Manuscrits de la mer Morte

Le sujet est complexe et plus de fantasme que de réel (concurrence entre chercheurs entre autres) et pas forcément conspiration du Vatican.

Ce que Kumran montre, c’est que l’idée d’un homme messie et martyr existait déjà avant Jésus. Du coup, Jésus se place dans un certain contexte historique. Le christianisme prend naissance dans une continuité logique dont les racines se trouvent dans ces mouvements sectaires et messianiques que les manuscrits nous révèlent.

Sur les preuves de l’existence physique de Jésus, il n’y en a aucune, tous les textes sont plus tardifs et idéologiques. Jésus peut aussi bien être un personnage réel et historique, qu’une fabrication littéraire. On ne sait pas et tout est question de foi.

Ces sujets ont largement été traités par Gérard Mordillat et Jérôme Prieur dans leurs émissions et livres. A lire.

Bien à vous

Yeshaya Dalsace rédacteur de Massorti  .com

Manuscrits de la mer Morte

En tant que maronite de père en fils, j’ai la pleine conviction que les maronites sont une continuation ou une certaine version de la Nouvelle Alliance au pays de Damas. St. Maron n’est pas un nom propre mais un titre : Il était le maître de justice de cette communauté de Syrie (région de Mar Semaan) il en était le Moreh ou Morah, Moran en araméen ou syriaque et Maroun en arabe. C’est pourquoi ce St. n’est pas bien connu et celui dont on parle n’est que l’un de ces Morah , Maroun, lequel poste est devenu un patriarcat . Le mode de vie de cette communauté ascétique vivant autour de leurs couvents, siège de leurs directeurs de consciences présidés par le Moran, est tout à fait conforme à la "Règle de la Communauté "ou Document de Damas de la nouvelle alliance au pays de Damas . Jusqu’à présent nous récitons pendant la messe les hymnes de Mar Ephrem chantes , qui sont une imitation pour ne pas dire une traduction des Hodayotes ou hymnes d’action de grace des esseniens . Notre Patriarche porte encore les surnoms de Mar (Morah) et de Pierre , c’est que a l’origine nous étions les adeptes de St. Pierre , fondateur de l’Eglise d’Antioche , et non de St. Paul .

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