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La femme face au sacré pendant ses menstruations

La femme face au sacré pendant ses menstruations

De nos jours encore, des quantités d’idées reçues circulent sur ce qu’une femme peut ou ne peut pas faire durant sa période de Nida  . Ce long article explique d’où cela vient et quelles sont les conséquences pour la Halakha  .

Introduction

Il est commun de penser que pendant ses menstruations, la femme doit s’éloigner des choses sacrées (les "choses sacrées" désignent les livres sacrés, les synagogues, les objets du culte, les prières et les bénédictions) parce qu’elle est impure. Selon cette conception, il serait interdit à la femme en période de règles de toucher les rouleaux de la Torah, ou même de pénétrer dans une synagogue. Certains estiment même qu’il serait interdit à une telle femme de prier ou de réciter une bénédiction. Dans le présent fascicule, nous nous proposons de vérifier si ces coutumes ont une base quelconque dans la halakha   ou s’il s’agit d’idées qui tirent leurs origines de sources extérieures, qui auraient profondément pénétré la conscience populaire.

I. Les lois de la nida  

Dans ce chapitre seront discutées les principales lois concernant la nida   [ce terme désigne la femme pendant la période de ses menstruations] ainsi que les restrictions auxquelles elle est soumise. Nous examinerons ces lois dans la Bible, le Talmud   et chez les autorités rabbiniques.

1. Dans la Bible

Une femme qui a des saignements vaginaux est considérée comme impure. La Torah distingue deux situations : la nida  , dont le saignement a lieu au moment de ses règles menstruelles et la zava, qui saigne en dehors du cycle normal.

a) La nida  

La nida   fait partie des personnes considérées comme impures :
Lorsqu’une femme éprouvera le flux (son flux, c’est le sang qui s’échappe de son corps), elle restera sept jours dans son isolement, et quiconque la touchera sera souillé jusqu’au soir (Lévitique 15 : 19).
Il est interdit à une femme qui saigne lors de ses règles d’avoir des rapports sexuels pendant une durée de sept jours, car elle transmet son impureté.

b) La zava

Dans les versets suivants, la Torah donne les lois concernant la Zava :
Si le flux sanguin d’une femme se poursuit pendant plusieurs jours, hors de l’époque de son isolement, ou s’il se prolonge au-delà de son isolement ordinaire, tout le temps que coulera sa souillure, elle sera comme à l’époque de son isolement : impure… Lorsqu’elle sera délivrée de son flux, elle comptera sept jours, après quoi elle sera pure. Au huitième jour, elle se procurera deux tourterelles… (Levitique 15 : 25-29).

Lorsqu’une femme a des saignements en dehors de son cycle normal, elle est impure pendant tout le temps du saignement. A partir du moment où elle cesse de saigner, elle doit compter sept jours. Au bout de ces sept jours, elle se purifie et offre un sacrifice. Selon la Torah, la purification se fait par l’immersion. C’est ainsi que l’ont aussi compris les Sages  . Selon le sens littéral du texte biblique, ces lois ne concernent que la zava et pas la nida  .

Selon le chapitre 15 du Lévitique, la nida   aussi bien que la zava rendent impurs tout objet ou toute personne qu’elles touchent. Selon l’exégèse des Sages   sur le verset du Lévitique 18:19 : "Lorsqu’une femme est isolée par son impureté, n’approche point d’elle pour découvrir sa nudité", il est interdit d’avoir des relations sexuelles avec la nida   et la zava. Celui qui a des relations sexuelles avec ces femmes devient impur et ne peut entrer dans le Sanctuaire (Lévitique 15 : 24). Elles mêmes se voient bien entendu interdire l’entrée du Sanctuaire, comme toutes les personnes impures citées au chapitre 15 du Lévitique, ainsi qu’il est énoncé au verset 31 :

Vous devez éloigner les enfants d’Israël de ce qui pourrait les souiller, afin qu’ils n’encourent point la mort par leur contamination, en souillant Ma demeure qui est au milieu d’eux.

2. Dans le Talmud  

Alors que dans la Bible, la nida   et la zava forment deux catégories distinctes, à l’époque de la Michna   et du Talmud  , cette distinction commence à s’effacer.

Dans le Talmud   babylonien (Nida   66a), on trouve un décret de Rabbi Yehuda Hanassi (Rabbi) concernant les femmes vivant "dans les champs", lieux dénués de toute autorité halakhique auprès de laquelle les femmes auraient pu demander conseil pour décider si leur saignement provenait des règles ou non. Rabbi établit que dans ces conditions, toute femme qui saignait pendant trois jours au moins, devait compter sept jours après l’arrêt du saignement avant de pouvoir se purifier. Dans le langage des Sages  , ces sept jours sont appelés "les sept jours propres" (sheva nekiim).

Ce passage Talmudique continue ainsi :

Rabbi Zeira dit : les filles d’Israël étaient tellement strictes pour elles-mêmes qu’il leur suffisait de découvrir une goutte de sang de la grandeur d’un grain de moutarde pour observer les sept jours propres.

Selon Rabbi Zeira, les femmes d’Israël étaient plus strictes que ce qui était requis par Rabbi Yehuda Hanassi, et dès qu’elles voyaient un goutte de sang même de la grandeur d’un grain de moutarde, et même si le saignement ne persistait pas trois jours, elles observaient la période des sept jours propres.

Cette coutume est rapportée par les Sages   du Talmud   comme exemple de loi "claire" (halakha   beroura) qui n’a pas besoin d’être étudiée.

Cette attitude rigoriste, qui exige que la nida   comme la zava compte sept jours après la cessation des saignements, a rendu les deux états similaires et on ne fit plus, dès lors, de différence entre nida   et zava dans la loi appliquée.

3. La nida   après la période talmudique

Maimonide   et Joseph Caro   légifèrent selon la rigueur pratiquée par les femmes en Israël, et considèrent que tout saignement, qu’il soit dû aux règles ou à toute autre cause, et même s’il s’agit d’une goutte de la grosseur d’un "grain de moutarde", rend la femme impure et elle doit compter sept jours propres (yemei liboun = les jours blancs) après la cessation du saignement (yemei réiya = les jours où l’on voit [du sang]). La femme est considérée comme impure pendant toute la période des yemei réiya et des yemei liboun et il lui est interdit d’avoir des relations sexuelles avec son mari (Choulhan Aroukh, Yoré Déa 185 : 1).

En plus de l’interdit des relations sexuelles, le Rabbin   Joseph Caro   et le Rema dans ses gloses (ibid. 195) signalent toute une série de restrictions pour assurer une distance entre mari et femme afin d’éviter toute possibilité de relation sexuelle, pendant la période des règles et pendant la période des "jours propres". Il s’agit notamment de l’interdiction de se toucher, de dormir dans le même lit et de manger du même récipient. De même, l’homme et la femme ne peuvent se verser du vin l’un à l’autre, la femme ne peut faire le lit de son mari en sa présence, ni lui laver le visage, les mains et les pieds (tous ces gestes étaient considérés comme ayant une connotation érotique et donc un éventuel appel au rapport sexuel).

En résumé, selon la loi biblique, la nida   était considérée comme impure seulement pendant sept jours. A partir de l’époque talmudique, la femme compte sept "jours propres" (yemei liboun) après la cessation de ses règles. Les autorités halakhiques en ont conclu que la femme était impure pendant la période des règles (yemei réiya) et pendant les yemei liboun. Après cette période, elle doit s’immerger dans le mikvé   pour se purifier. Tant qu’elle n’a pas fait cela, elle reste interdite à son mari (Yoré Déa 195:1)

4. Les raisons données aux lois de la nida  

Le saignement que subit la femme pendant ses menstruations est considéré dans de nombreuses cultures comme un phénomène dangereux et effrayant. Dans les cultures primitives, on éprouvait des difficultés à considérer ces saignements comme un phénomène naturel. Une perte de sang était associée à la perte de la vie, c’est pourquoi le phénomène des menstruations éveillait la crainte de la mort. De plus, les règles sont le signe qu’une nouvelle vie n’a pas débuté ; par cela aussi elles sont en quelque sorte symbole de mort.

Dans de nombreuses cultures, la femme réglée s’éloignait de la société, d’une part parce qu’elle préférait s’isoler, d’autre part parce que la société la repoussait.

Dans les sources juives, la femme réglée est comprise dans la liste des personnes impures auxquelles sont imposées des lois d’éloignement. Cet éloignement s’applique dans deux domaines : éloignement du sacré (le Tabernacle   et le Temple) et éloignement de la femme de son mari par l’interdiction de relations sexuelles.

Au cours des générations, les Sages   ont donné une série d’explications sur le pourquoi des lois concernant la nida  . Voici deux exemples du sens donné à cette mitzva, qui peuvent avoir une signification également pour l’homme moderne.

1) Eviter la routine dans la vie sexuelle du couple :

Dans le Talmud   Nida   31b on peut lire :

On a enseigné : Rabbi Méir disait : pourquoi la Torah nous enseigne-t-elle qu’une nida   [est impure] sept jours ? Parce qu’à force d’habitude, [son mari] en arrive à la détester. C’est pourquoi la Torah dit : qu’elle soit impure sept jours, pour qu’elle plaise à son mari comme sous le dais nuptial.

Lorsqu’un homme est constamment en présence de sa femme, il peut en arriver à ne plus la supporter (voir Rachi   ibid. s.v. la détester). Rabbi Méir explique que la Torah voulait empêcher une telle situation, c’est pourquoi elle a établi cette période pendant laquelle les relations sexuelles sont interdites. Ainsi, chaque mois, après la période des règles, le couple se retrouve comme au premier jour de leur mariage.

2) La domination de l’instinct et la sanctification de la vie

Certains penseurs, à différentes époques, ont insisté sur le rôle éducatif des lois de la Torah. La Torah enseigne à l’homme comment mettre un frein à ses instincts. L’instinct de se nourrir est réglementé par les lois de la cacheroute ; le désir de possession est limité par les lois empêchant la spoliation et exigeant l’aide aux pauvres ; quand à l’instinct sexuel, il est freiné par les lois de la menstruation. Afin que le peuple Juif soit une "une dynastie de pontifes, une nation sainte" (Exode 19 : 6).

Le rabbin   Aaron Bart insiste sur ce rôle éducatif de commandements tels que les lois sur la menstruation. Il retrouve cette idée dans les paroles de Rav : "Les commandements n’ont été donnés que pour purifier les hommes" (Berechit Raba 44 et parallèles) ; l’accomplissement des commandements purifie l’homme et l’aide à atteindre un niveau moral plus élevé.

Le rabbin   Isaac Klein (décisionnaire Massorti  ) lui aussi explique les lois sur la menstruation dans ce sens. Il insiste sur le fait que la morale juive ne demande pas l’abolition de l’instinct sexuel, mais sa limitation au contexte du mariage. Et même dans ce cadre, il faut maintenir des périodes, comme pendant les règles de la femme, au cours desquelles le couple s’abstient de relations sexuelles. Selon le rabbin   Klein, un Juif qui veille à l’observance des lois de la nida   ajoute une dimension sacrée à sa vie et œuvre pour une harmonie de la vie familiale.

II. L’éloignement de la nida   de la synagogue et des choses sacrées

Les questions de pureté et d’impureté mentionnées dans la Torah sont en général liées au Tabernacle  . Selon la Torah, il y a un interdit absolu pour une personne impure de pénétrer dans l’espace du Tabernacle  .

Le chapitre 15 du Lévitique donne une liste des personnes considérées comme impures à cause d’un écoulement provenant de leur organe sexuel, aussi bien pour des raisons naturelles que suite à une maladie.

La liste comprend les cas suivants :

1) Le zav, un homme qui a un écoulement suite à une maladie (gonorrhée),

2) Le baal kèri, un homme qui a eu un écoulement séminal,

3) La zava, une femme qui a des saignements en dehors de ses règles,

4) La nida  , une femme qui a des saignements lors de ses règles. Selon ce qui est dit dans ce chapitre de la Torah, les Israélites doivent se distancer des personnes impures pour ne pas contracter leur impureté.

A la fin du chapitre (au verset 31) est donné la raison de cet éloignement :

Vous devez éloigner les enfants d’Israël de ce qui pourrait les souiller, afin qu’ils n’encourent point la mort par leur contamination, en souillant ma demeure qui est au milieu d’eux.

Les Israélites doivent éloigner l’impureté parce que le Tabernacle   se trouve au milieu de leur camp. Cet interdit est tel que toute personne qui s’approche du Tabernacle   en état d’impureté est condamnée à mort.

Comme le Tabernacle   se trouve dans le camp, les personnes en état d’impureté doivent sortir en dehors du camp.

Il faut ajouter à la liste des personnes impures, l’accouchée. Dans son cas il est écrit clairement qu’elle ne peut entrer dans le sanctuaire tant qu’elle est impure : "… elle n’entrera point dans le saint lieu, que les jours de sa purification ne soient accomplis" (Lévitique 12 : 4).

L’interdiction imposée aux personnes impures de pénétrer dans le Tabernacle   s’applique aussi à l’espace du Temple. Et c’est ce que nous lisons dans la Michna   Kélim 1:8 : "Le Mont du Temple est saint… les zavim, les zavot, les nidot et les accouchées ne peuvent y pénétrer ".

Après la destruction du Temple, les synagogues et les maisons d’étude deviennent les institutions centrales de la religion juive et prennent la place du Temple. Puisqu’il n’y a plus de possibilité d’offrir des sacrifices, la prière et l’étude de la Torah deviennent l’unique forme de culte. Les Sages   considéraient les synagogues comme des "sanctuaires mineurs", et les prières furent liées explicitement aux sacrifices.

Malgré tout ceci, dans les sources des tanaïm et amoraïm, on ne trouve aucune exigence d’éloigner les personnes impures des synagogues, de l’étude de la Torah ou de la prière.

De même au cours des générations suivantes, la plupart des autorités halakhiques continuent à permettre l’entrée des synagogues aux impurs.

Cependant, une minorité parmi ces autorités se montre plus sévère dans le cas de l’impureté de la nida  . Selon cette opinion, pendant leurs règles, les femmes doivent s’éloigner des choses sacrées et plus particulièrement des synagogues pour ne pas les profaner. Nous nous proposons d’examiner les différentes opinions.

1. Selon la halakha   la nida   a le droit de s’occuper de choses sacrées

Dans les sources des tanaïm et amoraïm, les sages   ne faisaient pas de distinction entre la nida   et les autres personnes impures : toutes ont le droit de prier, de réciter des bénédictions, d’étudier la Torah et d’entrer dans les synagogues.

a) La Tosefta

La Tosefta Berakhot 2 : 12 (édition Lieberman, p. 8) enseigne :
Les hommes atteints de gonorrhée (zavim) et les femmes qui ont des saignements en dehors de leur menstruation (zavot), les femmes en période de règles (nidot) et les accouchées (yoldot), ont le droit de lire la Torah, les Prophètes et les Hagiographes, d’étudier la Michna  , les Midrachim la halakha   et la Agada. Mais ceux qui ont eu une émission séminale (baalé kèri) n’en ont pas le droit.

Selon cette baraïta   il n’existe aucun interdit pour les femmes en période de règles, ni pour la plupart des autres personnes impures de lire la Bible et d’étudier les paroles des Sages  . (Signalons que cette source montre que les femmes pouvaient étudier le Talmud  ). Seul le baal kèri fait exception et se voit interdire toutes ces choses. Le baal kèri est un homme qui a eu une émission séminale, quelque en soit la cause, y compris une relation sexuelle légitime. (Si on appliquait la règle strictement tout homme dans un tel état ne devrait pas étudier ! Cela viderait quelque peu les lieux d’étude et les synagogues... Mais elle a été abandonnée, bien que certains hommes pratiquent encore le Mikvé   dans ce cas, par mesure de piété).

Comme indiqué ci-dessus, le baal kèri est inclus dans la liste des personnes impures mentionnées dans le Lévitique. Dans les sources tanaïtiques, le baal kèri est le seul parmi les impurs à qui il est interdit de lire la Torah ou les autres livres sacrés. Ceci est sans doute lié au décret attribué à Ezra le scribe selon lequel le baal kèri devait s’immerger dans un bain rituel avant de pouvoir s’occuper de chose sacrées (Baba Kama 82a). Certains pensent que les interdits frappant le baal kèri ne sont pas liés à la question d’impureté. Leur opinion se fonde sur ce que l’on peut lire dans le Talmud   de Jérusalem (Berakhot 3 : 4, 6c) :
Rabbi Jacob bar Abun disait : cette immersion [du baal kèri] fut décrétée dans le seul but que les Juifs ne se conduisent pas comme de la volaille qui après avoir eu des relations sexuelles, se lève et va manger.

Selon le Talmud   de Jérusalem, ces interdits imposés au baal kèri ne sont pas liés à son état d’impureté mais à la volonté des Sages   de mettre un frein à la sexualité des hommes. Les Sages   voulaient éviter que les hommes ne se conduisent comme de la volaille dans leur comportement sexuel. Avec le temps, ce décret d’Ezra fut annulé parce que la majorité du public n’était pas capable de le respecter.

b) Le Talmud   de Babylone

Il est écrit dans une baraïta   de Berakhot 22a :
On a enseigné : Rabbi Yehouda ben Beteira affirmait – Les paroles de la Torah ne contractent pas l’impureté. Un jour, un élève bredouillait debout devant Rabbi Yehouda ben Beteira. Rabbi Yehouda ben Beteira lui dit : Mon fils, ouvre la bouche et que tes paroles soient claires, les paroles de la Tora ne contractent pas l’impureté comme l’indique le verset " N’est-elle pas ainsi ma parole, comme du feu, oracle de l’Eternel ? "(Jérémie 23:29). De même que le feu est imperméable à l’impureté, les paroles de la Tora le sont, elles aussi.

En d’autres termes, selon Rabbi Yehouda ben Beteira, une personne impure a le droit de s’occuper de paroles de la Torah, car les paroles de la Torah ne contractent pas l’impureté.

Dans cette baraïta   Rabbi Yehouda ben Beteira fait remarquer à un de ses disciples qui était baal kèri (selon l’explication de Rachi   ibid. s.v. bredouillait) qu’il a le droit de lire la Torah à voix haute, même si il est impur puisque les "paroles de la Torah ne contractent pas l’impureté".

Cette anecdote semble montrer que Rabbi Yehouda ben Beteira n’acceptait pas le décret d’Ezra qui exigeait du baal kèri de s’immerger avant d’avoir affaire aux choses sacrées.

En résumé, ni dans la Michna   ni dans le Talmud   on ne trouve d’allusion à un quelconque interdit pour une femme en période de règles de pénétrer dans une synagogue, de prier, de lire le Shema   ou de lire et d’étudier la Torah.

L’impureté de la nida   ne l’empêche aucunement de s’occuper de choses sacrées car "les paroles de la Torah ne prennent pas l’impureté".

c) Les guéonim

Se conformant aux sources citées ci-dessus, l’opinion qui prévalait dans les académies des guéonim était que la nida   a le droit de prier et de fréquenter la synagogue.

Voici par exemple la réponse que fit le gaon   Natronaï lorsqu’on lui demanda si une femme en période de règles était tenue de réciter les bénédictions et de prier :

Nous avons pu voir que la femme, lorsqu’elle a ses règles, prie et dit les bénédictions normalement pendant toute la période où elle est nida   sans aucune hésitation. Même si elle est interdite à son mari, ceci la libère-t-elle des mitzvot [commandements] ? Ravina ne déclare-t-il pas (Berakhot 27b) "la nida   fait le prélèvement de la hala" : elle doit prélever (la hala) ; or, on ne peut le faire sans bénédiction. Quelle différence y a-t-il entre la bénédiction qui accompagne une mitzva et la prière ?

Bien que la nida   soit interdite à son mari, elle continue à avoir l’obligation d’accomplir les commandements et de réciter les bénédictions qui les accompagnent. Pour le prouver, Natronaï Gaon   cite la déclaration de Ravina dans le Talmud   selon laquelle la nida   a l’obligation du prélever la hala. Etant donné que le prélèvement de la hala s’accompagne d’une bénédiction, il en découle que la nida   a aussi l’obligation de prier, car il n’y a pas de différence entre une bénédiction et une prière.

La majorité des guéonim permettent les choses sacrées à la nida   en disant qu’on ne trouve aucune base aux interdits dans la halakha   talmudique. Mais il semble qu’à leur époque déjà, des coutumes de distanciation de la femme des choses sacrées pendant ses règles s’étaient largement développées au sein du public. On peut déduire cela du grand nombre de responsa   de guéonim qui insistent sur le fait qu’il n’y a pas lieu d’imposer toutes ces restrictions.

d) Rachi   (France, 1040-1105)

La pratique d’éloigner la nida   de la synagogue était sans doute courante chez les femmes en France au 11e siècle. Nous en avons un témoignage dans l’enseignement de Rachi   sur ce sujet :

Il y a des femmes qui évitent de fréquenter la synagogue pendant leur menstruation. Elles ne doivent pas agir ainsi. Car quelle est la raison pour laquelle elles agissent ainsi ? Si c’est parce qu’elles considèrent que la synagogue est comme le Temple, pourquoi y entrent-elles même après l’immersion ? … Et si ce n’est pas comme le Temple, qu’elles y entrent, qu’elles y entrent ! De plus, nous sommes tous baalei kèri et impurs parce que nous nous sommes approchés des morts ou d’animaux impurs et cependant nous entrons dans les synagogues.

Ceci nous montre que les synagogues ne sont pas comme le Temple. Et les femmes [en période de règles] peuvent y venir. Mais de toute manière, il s’agit d’une question de pureté et elles agissent bien.

Rachi   s’oppose à cette coutume des femmes. Il explique que la synagogue ne doit pas être considérée comme le Temple et qu’il n’y a donc aucune interdiction pour les impurs d’y venir, y compris les femmes pendant leur menstruation. Il faut remarquer que Rachi   ne mentionne ni la prière ni la prononciation du nom de Dieu.

La dernière phrase de la citation contredit clairement l’opinion de Rachi   exprimée dans les phrases précédentes. Il faut donc supposer que cette phrase ne reflète pas l’opinion de Rachi  , mais qu’il s’agit d’un ajout apporté par un éditeur, peut-être l’un des disciples de Rachi  .

e) Maimonide   (Espagne et Egypte, 1135 –1204)

Selon Maimonide   les personnes impures ont le droit de prier. Voici ce qu’il écrit dans Michné Tora, Lois concernant la prière et la bénédiction des prêtres (4 : 4) :

Toutes les personnes impures se contentent de se laver les mains comme les personnes pures, puis récitent la prière. Mêmes si elles ont l’occasion de s’immerger dans un bain rituel et ainsi de se purifier, elles ne doivent pas attendre de le faire pour prier.

L’immersion n’est pas une nécessité pour permettre aux personnes impures de prier, il leur suffit de se laver les mains comme les personnes pures.

Maimonide   ne fait pas de différence entre la nida   et les autres personnes impures. Il écrit dans les Lois concernant les Rouleaux de la Torah (10 : 8) :

Toutes les personnes impures, même les nidot, même les goy   [non Juifs] ont le droit de tenir un rouleau de la Torah et d’y lire, car les paroles de la Torah ne contractent pas l’impureté, pour autant que leurs mains ne soient pas sales ou souillées de boue ; ils se laveront les mains et ensuite pourront les toucher.

La source de Maimonide   est la baraïta   qui se trouve dans la Tosefta Berakhot 2 :12 et dans le Talmud   Berakhot 22a que nous avons mentionnés ci-dessus. Le fait que Maimonide   écrive "même les nidot même les goy  ", témoigne sans doute d’une polémique avec des tendances de son époque qui étaient plus sévères concernant l’impureté des femmes en période de règles et des non-Juifs.

Dans cette halakha  , Maimonide   établit une distinction entre impureté et souillure. L’interdiction de prier ou de toucher les rouleaux de la Torah ne s’applique qu’à la personne qui a les mains sales, selon le Talmud   Souca 26b, et n’a rien à voir avec l’impureté.

f) Le Rabbin   Joseph Caro   (Espagne et Israël, 1488-1575)

Dans ses décisions énoncées dans le Choulhan Aroukh, le rabbin   Joseph Caro   suit celles des Sages   du Talmud   et de Maimonide  .

1. Dans Yoré Déa 282 : 9, le rabbin   Joseph Caro   répète la décision de Maimonide   et écrit :

Toutes les personnes impures, y compris les nidot, ont le droit de tenir un rouleau de la Torah et d’y lire, pour autant que leurs mains ne soient pas sales ou souillées.

En d’autres termes, une personne impure, y compris une femme pendant ses règles, a le droit de toucher aux rouleaux de la Torah.

2. Dans Orah Hayim 88:1 il écrit :

Tous les impurs ont le droit de lire la Torah, de réciter le Chema   et de prier, sauf les baalei kèri* [les hommes qui ont eu une émission séminale] que Ezra a distingué parmi les impurs et auxquels il a interdit de lire la Torah, de réciter le Chema   ou de prier tant qu’ils ne se sont pas immergés dans un bain rituel [pour se purifier], afin que les érudits ne se conduisent pas comme de la volaille envers leurs épouses. Au cours du temps, ce décret fut annulé et il fut décidé que le baal kèri avait aussi le droit de lire la Torah, de réciter le Chema   et de prier, même sans immersion.

Selon le rabbin   Joseph Caro  , toutes les personnes impures ont le droit de lire la Torah, d’étudier et de prier. L’exigence d’immersion pour les hommes ayant eu une émission séminale ne signifie pas que ce type d’impureté est plus grave que les autres, mais découle de la volonté des Sages   de mettre des limites à la sexualité des hommes, comme nous l’avons expliqué ci-dessus.

Avec le temps, ce décret fut annulé.

En tout cas, selon le rabbin   Joseph Caro  , il n’y a aucun interdit empêchant une femme de prier, de lire et d’étudier la Torah pendant ses menstruations.

[*En résumé, d’un point de vue halakhique, selon le Talmud  , les guéonim, Rachi  , Maimonide   et le Choulhan Aroukh la nida   a le droit d’entrer dans la synagogue et de s’occuper de choses sacrées. *]

2. L’éloignement de la nida   de la synagogue et des choses sacrées

Jusqu’ici nous avons pu voir que rien n’existe, dans la halakha  , qui pourrait justifier l’éloignement des choses sacrées de la femme pendant ses menstruations.

Nous avons cependant des témoignages qui montrent qu’à des époques anciennes déjà, dans certains groupes, un tel éloignement était l’usage. Le fait que seules les nidot parmi les personnes impures étaient éloignées des choses sacrées, témoigne d’une conception selon laquelle l’impureté des femmes pendant leurs règles est différente des autres sortes d’impureté.

a) Baraïta   dé-Massékhèt Nida   (Israël 6e-7e siècle)

On rencontre une rigidité extrême sur la question de l’impureté de la nida   et de son éloignement des choses sacrées dans une œuvre nommée Baraïta   dé-Massékhèt Nida  , probablement écrite en Israël au sixième ou au septième siècle, sans doute par les membres d’une secte qui ne suivait pas la halakha   normative.

Une des caractéristiques de cet écrit est qu’il insiste longuement sur des superstitions selon lesquelles la nida   serait dangereuse ; une telle conception ne se trouve ni dans la Michna   ni dans le Talmud  .

De même, de nombreuses lois qui figurent dans la Baraïta   dé-Massékhèt Nida   n’apparaissent pas dans la littérature talmudique.

Selon la conception de la Baraïta   dé-Massékhèt Nida   il faut éviter tout contact avec une nida  .

Dès le début, le lecteur est mis en garde : "Les femmes qui n’observent pas strictement les lois de la nida   enterrent leur mari" (p. 3).

Le "danger" n’est pas limité au mari de la nida  , mais s’étend à toute personne ayant un contact avec elle. On peut lire par exemple :

Pendant ses règles, la femme ne doit pas se couper les ongles, de crainte que l’un d’eux ne tombe à terre… la personne qui marcherait dessus risquerait d’attraper une maladie de la peau (p. 16).

Ou encore :

Rabbi Judan dit : si un Cohen   récite la bénédiction des prêtres alors que sa mère, sa femme ou une de ses filles est impure, la prière d’Israël devient une abomination, et il cause sa propre perte (p. 25).

Et un exemple supplémentaire :

Une femme en période de règles ne touchera pas à la pâte ou aux gâteaux et ne les mettra pas au four de peur qu’elle ne rende une des pâtisseries impures et un sage qui la mangerait verrait son intelligence s’amoindrir, au point de risquer d’oublier tout son savoir (p. 18).

L’impureté de la nida   est telle que même sa salive rend les autres impurs :

Rabbi Hanina dit : même la salive de la nida   [est impure]. Si elle a craché sur le lit et que son mari ou ses fils ont marché sur la salive, ils sont impurs et ne peuvent entrer dans la synagogue jusqu’à ce qu’ils se soient immergés dans l’eau, car la salive de la nida   est impure (p. 3).

Selon la conception de la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  , la synagogue est assimilable au Temple et il est interdit à toute personne impure d’y pénétrer. C’est pourquoi il y est dit à propos de la nida   :

"Elle n’entrera point dans le saint lieu" (Lévitique 12 : 4), elle n’a le droit d’entrer ni dans les maisons d’étude ni dans les synagogues (pp. 30-33).

La gravité de l’impureté de la nida   s’exprime non seulement par l’interdiction d’entrer dans les synagogues, mais aussi par son éloignement de tout ce qui est sacré.

La femme qui a ses règles n’a pas le droit d’allumer les bougies de shabbat : "La femme en période de règles n’a pas le droit de s’occuper de la hala ni d’allumer les bougies de shabbat" (p. 27).

De même, elle n’a pas le droit de prier ou de réciter des bénédictions :

Rabbi Yodan dit : il est interdit de réciter une bénédiction en présence d’une nida   afin qu’il ne lui vienne pas à l’idée de dire amen   et de ce fait, profaner (le Nom de Dieu) (p. 17).

En d’autres termes, le mot "amen  " dans la bouche d’une nida   est une profanation, a fortiori une bénédiction ou une prière.

[*La Baraïta   dé-Massékhèt Nida   est le premier texte où l’on trouve l’interdiction pour la nida   de tout contact avec le sacré, ainsi que l’idée selon laquelle une bénédiction récitée par elle devient une malédiction et est une cause de profanation. Bien que toutes ces règles ne correspondent nullement à la loi talmudique, elles eurent une très grande influence sur les générations suivantes.*]

b) Séfèr Hamiktso’ot (fin du 11e siècle)

Comme nous l’avons écrit ci-dessus, l’opinion de la majorité des guéonim est que la nida   ne doit pas être éloignée des choses sacrées et par conséquent, elle a le droit de réciter les bénédictions, de prier et d’aller à la synagogue. Nous avons également mentionné que de nombreux responsa   furent écrits par ces guéonim, s’opposant aux positions trop strictes sur la question de l’éloignement de la nida  . Ils s’opposent aux coutumes, sans doute courantes, des femmes de leur époque, de se distancer des choses sacrées pendant leurs règles.

Cependant, un certain nombre de guéonim avaient une approche plus rigide sur la question de la séparation de la nida   du sacré. On peut trouver leurs responsa   dans le Séfèr Hamiktso’ot, livre probablement rédigé à la fin du 11e siècle. Le Séfèr Hamiktso’ot n’existe plus et nous le connaissons uniquement par des citations trouvées dans les écrits de certains richonim  .

Voici ce qui est dit dans l’une de ces citations (Otsar HaGuéonim sur le traité Berakhot, section des responsa  , paragraphe 121 = Assaf, p. 2.) :

Une femme n’a pas le droit d’entrer dans une synagogue durant tous les jours où elle "voit" du sang (yemei réiya), jusqu’à l’arrêt des saignements, comme il est dit : "elle ne touchera à rien de consacré etc." (Lévitique 12 :4). Ceci est dit au nom de Rav Zemah Gaon   et il s’agit également de la coutume des deux académies. Elle ne peut même pas se tenir à l’extérieur de la synagogue.
Ceci est dit à propos des jours des règles à proprement parler. D’où savons-nous qu’il en va de même pour les jours propres (yemei liboun) ? Comme il est dit : "que les jours de sa purification ne soient accomplis" (ibid.). Il va de soi qu’elle ne peut entrer dans une synagogue, mais de plus, lorsqu’elle entend une bénédiction, il lui est interdit de répondre amen  . Ainsi que l’a dit Rabbi Yehouda [dans la Baraïta   dé-Massékhèt Nida   que nous avons cité ci-dessus], il est interdit de réciter une bénédiction en présence d’une nida   afin que ne lui vienne pas à l’idée de dire amen   et de ce fait, de profaner le Saint Nom.

Selon Dinari (pp. 21-22), cet extrait témoignerait de deux approches.

Selon la première opinion, l’interdiction pour la nida   d’entrer dans une synagogue s’applique seulement "jusqu’à l’arrêt des saignements".

Selon la seconde opinion, plus stricte, il lui est interdit de prier également pendant "les sept jours propres (yemei liboun)".

Il est aussi interdit à la nida   d’entendre une bénédiction de peur qu’elle ne réponde "amen  ". Cette dernière interdiction provient de la Baraïta   dé-Massékhèt Nida   dont nous avons parlé ci-dessus.

Ces extraits du Séfèr Hamiktso’ot témoignent qu’à la fin de la période des guéonim existait une coutume d’interdire aux nidot de répondre "amen  " ou d’aller à la synagogue, tout au moins pendant les jours de leurs règles (yemei réiya). Etant donné que le Séfèr Hamiktso’ot cite la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  , on peut assumer que ces positions strictes ont leur origine dans cet écrit.

c) Les premiers Sages   d’Ashkénaze

Au début du Moyen-Âge, les coutumes d’éloignement de la nida   des choses sacrées étaient courantes dans les communautés d’Ashkénaze et de France, sans doute sous l’influence de la Baraïta   dé-Massékhèt Nida   et du Séfèr Hamiktso’ot.

Les femmes de ces communautés s’abstenaient de réciter des bénédictions, de prier et de pénétrer dans les synagogues pendant leurs menstruations. On peut retrouver ces restrictions dans les décisions d’une partie des autorités ashkénazes des 12e et 13e siècles.

1. R. Elazar de Worms, auteur du Rokéah (Ashkénaze 1160-1230)
L’influence de la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  * est clairement détectable dans les lois de la nida   de Rabbi Elazar de Worms. Il apporte toute une série de mesures d’éloignement de la nida  , au nom des "Actes des Guéonim" et met aussi en garde contre les dangers de l’impureté des femmes pendant leur menstruation. En ce qui concerne l’éloignement de la synagogue, il écrit :

… [la nida  ] n’a pas le droit d’entrer dans une synagogue jusqu’à ce qu’elle se soit immergée dans l’eau [du bain rituel], car la salive de la nida   est impure .

Cet interdit a également son origine dans la Baraïta   dé-Massékhèt Nida   et il est clair que l’auteur du Séfèr Harokéah considère les restrictions imposées par cet écrit comme des lois de la halakha  .

2. R. Eliézer ben Joël ha-Lévi, le Ravyah (Ashkénaze 1140-1225)

… la nida  , le zav et la zava… on le droit de faire toutes ces choses [la prière et les bénédictions]… cependant les femmes ont coutume d’être plus strictes envers elles-mêmes et s’isolent pendant leurs menstruations, elles n’entrent pas dans les synagogues et même lorsqu’elles prient, elles ne se tiennent pas devant les autres femmes. J’ai vu ceci dans les écrits des guéonim se référant à la baraïta  . Ceci n’est pas mentionné dans notre Tosefta, mais cette coutume est valide.

Le Ravyah admet que selon la loi proprement dite, les nidot, comme les autres personnes impures, ont le droit de s’approcher des choses sacrées. Mais il ajoute qu’à son époque les femmes évitaient d’aller à la synagogue pendant leurs règles.

A propos de la prière, il semblerait selon ce qu’écrit le Ravyah que les nidot priaient mais ne le faisaient pas à proximité de femmes pures.

Ceci n’est pas très logique, car si les nidot par leur présence rendent impures les prières des autres femmes, a fortiori elles rendent impures leurs propres prières et de ce fait elles ne devraient pas avoir le droit de prier. C’est pourquoi, explique Dinari, nous devons comprendre que l’intention du Ravyah était de dire que les femmes pures ne doivent pas prier près de nidot, pour éviter que celles-ci ne répondent "amen  " et ne profanent ainsi le Nom de Dieu, dans l’esprit de ce que dit la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  .

Lorsque le Ravyah mentionne "les écrits des guéonim", il fait sans doute allusion au Séfèr Hamiktso’ot dont nous avons parlé ci-dessus, car on ne retrouve cet interdit dans aucun autre écrit des guéonim. La "baraïta  " que le Ravyah mentionne est la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  .

Le Ravyah admet que selon la loi, une femme qui est en période de règles a le droit de s’occuper de choses sacrées ; cependant il estime que la coutume des femmes de se montrer plus strictes envers elles-mêmes est bonne ("kacher").

3. Rabbi Isaac Ben Moché de Viennes, auteur du livre Or Zaroua (Ashkénaze, ca. 1180 - ca. 1250)

Certaines femmes évitent d’entrer dans les synagogues ou de toucher les rouleaux de la Torah – ceci est un comportement très strict, mais elles ont raison d’agir ainsi. Mon maître Avi Haèzri [le Ravyah] m’a fait savoir que certaines femmes ne priaient pas près d’une nida   et il a ajouté qu’il a trouvé ceci explicitement exprimé dans la baraïta   de-nida  . Il disait avoir vu dans cet écrit de nombreuses lois très strictes. En conclusion, plus on est strict en ce qui concerne la nida  , mieux c’est, et cette façon d’agir est source de bénédiction.

R. Isaac de Viennes rappelle ici l’approche stricte sur la question de l’éloignement de la nida   des choses sacrées, dont la source est dans la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  . Il a eu connaissance de ces lois par son maître le Ravyah. Comme ce dernier, l’auteur du Or Zaroua admet que les décisions strictes sur la question de l’éloignement des femmes du sacré pendant leurs règles sont des coutumes et ne sont pas dictées par la halakha  , mais il pense comme son maître qu’il est bon de continuer à les observer.

[*Il faut remarquer que l’attitude rigoureuse dont il est question ici n’apparaît que chez un nombre restreint de décisionnaires ashkénazes des douzième et treizième siècles. Ces décisionnaires étaient tous liés au hassidisme   ashkénaze, très imprégné de mysticisme.] L’auteur du Or Zaroua comme l’auteur du Séfer Harokéah étaient disciples de Rabbi Judah Hahassid (décédé en 1217) à propos duquel on raconte dans les responsa   du Maharchal (fin du no. 29) :

Rabbi Judah Hahassid de Spire fut exilé de son pays natal vers Regensburg, par le fait que sa femme avait touché à son coffre ; or il l’avait mise en garde de ne pas s’approcher de ce coffre en état d’impureté. Oubliant cette mise en garde, elle avait touché le coffre, or celui-ci contenait des manuscrits de textes secrets et sacrés.

D’après ce récit, Rabbi Judah Hahassid fut exilé de son pays parce que sa femme, pendant ses règles, avait touché des écrits mystiques. Nous retrouvons ici une approche semblable à celle de la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  , à propos des préjudices que la nida   peut faire encourir à ses proches. L’expulsion de Rabbi Judah Hahassid de son pays est interprétée comme une punition du ciel due au fait que sa femme a touché des livres saints.

Selon Dinari (p. 29), l’influence de la Baraïta   dé-Massékhèt Nida   sur le hassidisme   ashkénaze s’explique par la centralité de la littérature des hékhalot dans ces cercles. Voici ce qu’il écrit :

Le professeur Saul Lieberman a récemment démontré qu’il y avait un lien entre la littérature des hékhalot et la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  . Dans la baraïta   on trouve certains éléments mystiques et l’auteur du Sefer Hahékhalot exige du sage qui veut pénétrer dans les hékhalot d’observer strictement les lois de la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  .

Il est difficile de démontrer la thèse de Dinari, mais il est clair que les hassidim d’ashkénazes croyaient que la Baraïta   dé-Massékhèt Nida   était un écrit halakhique et que ses lois étaient obligatoires. C’est pourquoi ils observaient les interdits qui s’y trouvent.

3. Évolution des coutumes d’éloignement de la nida   des choses sacrées

Au Moyen-âge, les communautés séfarades refusèrent l’approche rigide qui éloignait la nida   des choses sacrées, tandis que les communautés ashkénazes eurent tendance à l’accepter. Maimonide   et à sa suite le rabbin   Joseph Caro  , statuent clairement que les femmes, pendant leurs menstruations, ont le droit de s’approcher des choses sacrées et même de tenir les rouleaux de la Torah.

Par contre, les communautés Ashkénazes acceptent les mesures rigoristes concernant les nidot, les considérant parfois comme requises par la halakha  , parfois comme coutumes.

Les coutumes d’éloignement des nidot du sacré comprennent l’interdit d’entrer dans la synagogue, de prier, de réciter des bénédictions et de toucher aux rouleaux de la Torah et aux livres saints. Ces coutumes, toutes ou en partie, se sont enracinées chez les femmes. Comme le fait remarquer Dinari (pp. 33-34) : "En général les coutumes des femmes se transmettent de mère en fille. De telles coutumes ont une grande puissance et il est difficile de les réfuter".

Comme nous le verrons par la suite, les autorités ashkénazes devaient faire face à ce phénomène. D’un côté elles firent des compromis avec la coutume existante, estimant qu’elles devaient défendre ces traditions des femmes. Par ailleurs, elles tentèrent de restreindre ces coutumes d’éloignement, ayant conscience qu’il ne s’agissait que d’une rigueur sans fondement. Voici quelques exemples :

a) Le rabbin   Israël Isserlein - le Mahari (Ashkénaze, 1390-1460)

Le rabbin   Israël Isserlein permet aux nidot de fréquenter la synagogue au moins pour les grandes fêtes :

Je leur ai permis d’aller à la synagogue pour les grandes fêtes et pour des occasions similaires, occasions où de nombreuses femmes se rassemblent à la synagogue afin d’écouter la prière et la lecture (de la Torah). Je me base (pour ceci) sur Rachi   qui, dans ses lois concernant la nida  , permet (ces choses) pour contenter les femmes qui, sinon, seraient attristées et auraient le cœur brisé, lorsque tout le monde se rassemble pour prier en communauté, de devoir rester dehors.

Le rabbin   Isserlein admet qu’il n’y a pas d’interdit pour une femme d’entrer dans une synagogue pendant ses menstruations. C’est pourquoi, malgré la coutume des femmes ashkénazes d’éviter de le faire, il leur permet d’aller à la synagogue, en particulier lors des grandes fêtes, afin de ne pas leur causer de peine.

Le rabbin   Joseph Hoechstadt, disciple du rabbin   Isserlein, cite l’opinion de ce dernier en ce qui concerne les prières et les bénédictions : "Le Mahari statue… que (les nidot) doivent bénir les bougies (de shabbat) et réciter toutes les bénédictions".

Selon cette déclaration, le rabbin   Isserlein insiste sur le fait que les nidot ont l’obligation de bénir les bougies de shabbat et de réciter toutes les bénédictions.

b) Le rabbin   Jacob ben Yehuda Landa, auteur du Séfèr Ha’agour (Ashkénaze et Italie, quinzième siècle)

Dans son Séfèr Ha’agour, au chapitre où il traite des lois concernant l’immersion rituelle, le rabbin   Landa mentionne les lois très strictes du Séfèr Hamiktso’ot et de Or Zaroua. Après avoir mentionné ces lois, il écrit :

Quant à moi, l’auteur, j’ai observé que dans mon pays, les femmes (en période de règles) ont l’habitude de fréquenter la synagogue, de prier et de répondre à toutes les choses sacrées. Elles prennent uniquement garde de ne pas regarder les rouleaux de la Torah lorsque le chantre les montre au public.

L’auteur du Séfèr Ha’agour connaît les positions restrictives concernant le rapport des nidot au sacré, mais il affirme que dans son pays les femmes fréquentaient la synagogue pendent leurs menstruations, qu’elles priaient et récitaient les bénédictions. Le seul élément rappelant l’éloignement des nidot du sacré est que celles-ci ne regardaient pas les rouleaux de la Torah.

c) Le rabbin   Moshe Isserlès – le Rema (Pologne, 1525-1572)

Comme nous l’avons vu ci-dessus, le rabbin   Joseph Caro   dans le Choulhan Aroukh, Orah Hayim 88, déclare que les nidot ont le droit de lire dans les rouleaux de la Torah, d’étudier la Torah et de prier.

Voici ce qu’écrit le rabbin   Moché Isserlès, le Rema, dans ses gloses sur ce passage :

Certains écrivent qu’il est interdit à une femme nida   d’entrer dans une synagogue, de prier, de mentionner le nom de Dieu ou de toucher les rouleaux de la Torah, pendant les jours de saignement (Hagaot Maïmoniot, chap. 4) et d’autres affirment qu’elle en a le droit et ceci est la loi (Rachi  , lois concernant la nida  ). Mais la coutume dans ce pays a été fixée selon la première opinion. Pendant les jours propres, l’attitude est en général plus permissive. Et même là où on a coutume d’être strict, pendant les grandes fêtes et autres occasions similaires, lorsque de nombreuses personnes se rassemblent à la synagogue, les nidot ont la permission de s’y rendre comme les autres femmes, car cela leur causerait une grande tristesse si tous se rassemblaient et qu’elles devaient rester dehors (Responsa   du Mahari no. 132).

Le Rema évoque les coutumes d’éloignement de la nida  , accepte l’opinion de Rachi   selon laquelle ceci n’exprime pas la halakha  , mais ne fait que témoigner que telle est la coutume dans les communautés de Pologne. Comme il ne s’agit que d’une coutume, certaines autorités sont plus souples en ce qui concerne les jours propres (yemei liboun). De même, tout comme le rabbin   Israël Isserlein, le Rema permet aux nidot de fréquenter la synagogue pendant les grandes fêtes, et ce, même pendant leurs règles, pour éviter de les attrister.

d) Le rabbin   Abraham Gombiner, auteur du Maguène Abraham (Pologne, 1637-1683)

En réponse à l’opinion que cite le Rema "Certains écrivent qu’il est interdit à une femme nida   … de mentionner le nom de Dieu pendant les jours de saignement", le rabbin   Abraham Gombiner, auteur du Maguène Abraham, écrit :

Il existe une opinion selon laquelle les femmes ont une obligation émanant de la Torah de réciter les grâces après les repas. Comment peut-on dans ce cas supprimer une loi de la Torah au profit d’une coutume qui n’a aucun fondement ? Il me semble donc qu’elles [les femmes en période de nida  ] doivent au moins entendre les grâces dites par les autres et que si elles sont seules, elles doivent les réciter elles-mêmes à voix basse. Ceci vaut d’autant plus pour le kidouch  , qui est une injonction de la Torah (no. 88 par. 2).

Etant donné que les femmes ont l’obligation de la Torah de réciter les grâces après les repas ainsi que le kidouch  , on ne saurait supprimer ces commandements afin de conserver une coutume qui n’a aucun fondement dans la halakha  .

Cependant, l’auteur de Maguène Abraham accepte la coutume des femmes de ne pas aller à la synagogue et/ou de ne pas regarder les rouleaux de la Torah lorsqu’elles ont leurs menstruations : "elles ont coutume de ne pas entrer dans la synagogue et de ne pas regarder le rouleau de la Torah… par respect, et non pas parce que c’est interdit" (ibid.).

Une série de législateurs, comme les auteurs de Hayé Adam et de Michna   Berura, suivent l’auteur de Maguène Abraham et rejettent les coutumes trop strictes concernant la prière et la prononciation du nom de Dieu. Par contre, ils ne s’opposent pas aux coutumes des femmes de ne pas fréquenter la synagogue ou de ne pas regarder les rouleaux de la Torah pendant leurs règles.

4. Opposition explicite à l’éloignement de la nida   des choses sacrées

Un certain nombre de décisionnaires ont exprimé de manière explicite leur opposition aux coutumes des femmes qui s’éloignent du sacré pendant leurs menstruations. En voici quelques exemples.

a) Rabénou Yeroham, auteur du livre Toldot Adam Ve-Hava (Provence et Espagne, 1290-1350)

Rabénou Yeroham s’oppose fortement à la coutume qui prévalait sans doute en Provence au quatorzième siècle, selon laquelle les femmes impures évitaient de se rendre à la synagogue :

Il y a aussi parmi elles (les femmes impures après un accouchement) qui pendant toute cette période n’entrent pas dans une synagogue. Il s’agit d’une coutume erronée et d’une grande hérésie et il faut les corriger.
(Séfèr Toldot Adam Ve-Hava, Hava, Vol. 26, 3e partie, p. 123d. )


b) Le rabbin   Joseph Yozèfa Hahn, auteur de Yossèf Omètz
(Ashkénaze, dix-septième siècle)

Le rabbin   Joseph Hahn s’oppose lui aussi aux coutumes sévères que se sont imposées les femmes pour la période qui suit un accouchement :

Les femmes, après avoir accouché, ont coutume de s’imposer des restrictions, en opposition avec la loi. Or ceci entraîne un relâchement du respect manifesté au Saint, Béni Soit Il, car, pendant tous les jours suivant l’accouchement et ce jusqu’à ce qu’elles retournent à la synagogue, elles ne mentionnent pas le nom de Dieu. De ce fait, elles mangent sans se laver les mains et sans prononcer de bénédictions et de grâces avant et après les repas. Tout ceci en plus du fait qu’elles ne prient plus et ne lisent plus le Chema  .

(Séfèr Yossèf Omètz, Francfort-sur-le-Main, 1928, troisième partie, Chap. Les Mitzvot, Lois concernant la nida  , pp. 342-343.)

c) Le rabbin   Hiskyia Da Silva, auteur de Peri Hadach (Italie et Israël, 1659-1698)

Au dix-septième siècle, les coutumes d’éloignement des nidot du sacré s’étendent aussi aux communautés séfarades. C’est ce dont témoigne la mise en garde du rabbin   Da Silva qui vivait à Hébron. Voici ce qu’il écrit dans son livre Peri Hadach :

Il me semble que chaque homme doit mettre en garde (les femmes) de sa maison, afin que les nidot n’évitent pas de prier, car elles ont le droit et l’obligation de le faire.

(Peri Hadach sur Orah Hayim 88, s.v. haga. Ce paragraphe enseigne aussi que les femmes ont l’obligation de prier)

d) Le Gaon   Rabbi Eliahou de Vilna, HaGra (Lituanie, 1720-1797)

Le Gaon   de Vilna s’opposait également aux coutumes d’éloignement du sacré des nidot et des accouchées. Selon lui : "La nida   et l’accouchée ont le droit de prier immédiatement, même lorsqu’elles saignent encore, et ceci, même à la synagogue".

(Ma’assé Rav, no. 58. Cet écrit, œuvre d’un disciple du HaGra décrit ses coutumes. Voir aussi le commentaire du HaGra sur Orah Hayim 88.)

[*Ces décisions et mises en garde par les décisionnaires témoignent que même pendant la période des aharonim, ces coutumes d’éloignement n’avaient pas disparu. Ce n’est qu’au dix-neuvième siècle qu’on constate une régression de ces coutumes dans le judaïsme ashkénaze et de nos jours elles ont presque totalement disparu. Les femmes fréquentent les synagogues et récitent les bénédictions sans hésitation, pendant leurs menstruations.*]

e) Le rabbin   Ovadiah Yossef   (Israël, né en 1920)

De nos jours on peut constater un phénomène intéressant : de nombreuses femmes séfarades évitent d’aller à la synagogue et s’abstiennent même de prier pendant leurs menstruations, comme le faisaient autrefois les femmes des communautés ashkénazes.

Cet état de fait a incité le rabbin   Ovadiah Yossef   à statuer sur la question :

Les femmes ont l’obligation de prier et de réciter toutes les bénédictions pendant la période où elles sont nida  , et même pendant leurs règles. De même, elles ont le droit d’étudier et de discuter des paroles de la Torah, même en mentionnant le nom de Dieu, car les paroles sacrées ne contractent pas l’impureté. Il leur est défendu de s’imposer des interdits et de s’abstenir de prier ou de réciter des bénédictions. Si elles s’imposent déjà ces interdits, elles doivent annuler leur coutume… et prier et réciter toutes les bénédictions… mais elles ont le droit d’éviter de fréquenter les synagogues, de tenir les rouleaux de la Torah, ou encore de regarder les rouleaux de la Torah lorsqu’on les montre au public.

(Responsa   Yeḥavé Daat, 3e partie, no. 8, s.v. besikoum nachim.)

Le rabbin   Ovadiah Yossef   statue que les femmes ont l’obligation de réciter les bénédictions et de prier pendant la période où elles sont nida  . Il leur permet cependant de s’imposer des restrictions pendant cette période, comme de ne pas fréquenter les synagogues et de ne pas tenir de rouleau de la Torah. En ceci, il suit les autorités ashkénazes qui avaient fait des compromis avec les coutumes des femmes enracinées dans la conscience populaire.

III. Conclusions et halakha  

L’examen de l’ensemble des sources nous permet de tirer les conclusions suivantes :

1) Selon la Torah, une femme qui subit un saignement provenant du vagin est impure. Comme tous les impurs, il lui était interdit de s’approcher du Tabernacle   et du Temple. Une telle femme (nida  ) rend impur toute personne ou tout objet qu’elle touche. C’est pourquoi elle devait sortir du campement au milieu duquel se trouvait le Tabernacle  .

2) Après la destruction du Temple, les synagogues et les maisons d’étude deviennent les institutions centrales de la religion juive et occupent la place du Temple. Etant donné qu’il n’y a plus moyen d’offrir des sacrifices, la seule forme de culte est, dès lors, la prière et l’étude de la Torah. Les Sages   considèrent la synagogue comme "un Temple mineur" et les prières sont explicitement liées aux sacrifices.

3) Bien que les Sages   comparaient la synagogue au Temple, on ne trouve pas dans les sources des tanaïm et des amoraïm une quelconque exigence d’éloignement des impurs et parmi eux de la nida  , de la synagogue, de l’étude de la Torah ou de la prière. De même, on ne trouve aucune injonction d’éloigner la nida   du sacré, chez la plupart des guéonim, Rachi  , Maimonide   ou le rabbin   Joseph Caro  . Ceci nous permet d’affirmer que du point de vue de la halakha  , il n’existe aucun interdit pour la nida   d’avoir affaire aux choses sacrées.

4) Des coutumes d’éloignement de la nida   des choses sacrées existaient cependant dans certains cercles, à des époques anciennes. Ces attitudes strictes apparaissent pour la première fois après l’époque talmudique, dans la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  . Cet écrit fut rédigé en Israël au sixième ou au septième siècle et a probablement son origine dans des cercles marginaux, extérieurs au judaïsme normatif. Nous retrouvons ces mêmes attitudes rigides dans le Séfèr Hamiktso’ot, écrit datant de la fin de l’époque des guéonim. Cet écrit témoigne du fait qu’il existait une tradition de sévérité, particulièrement en ce qui concerne l’interdiction de la prière de la nida  , et de sa fréquentation de la synagogue tout au moins pendant la période de saignement. Il est clair que cette attitude stricte a son origine dans la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  .

5) Au début du Moyen-âge, les coutumes d’éloignement de la nida   du sacré étaient acceptées dans les communautés d’Ashkénaze et de France. Ceci était probablement dû à l’influence de la Baraïta   dé-Massékhèt Nida   et du Séfèr Hamiktso’ot. Les femmes de ces communautés évitaient de réciter des bénédictions, de prier et de fréquenter la synagogue, pendant leurs menstruations. Selon le témoignage de Rachi  , ces attitudes strictes existaient déjà au onzième siècle. Un nombre restreint de décisionnaires ashkénazes au douzième et au treizième siècles acceptent ces coutumes et elles apparaissent dans leurs écrits. Ces autorités ont un lien avec le hassidisme   ashkénaze, qui était profondément empreint de mystique et était influencé par la littérature des Hékhalot, cette dernière ayant un lien clair avec la Baraïta   dé-Massékhèt Nida  .

6) Au Moyen-âge, les communautés séfarades n’acceptent pas ces pratiques d’éloignement de la nida   des choses sacrées.

7) Les coutumes d’éloignement de la nida   s’enracinèrent très profondément chez les femmes des communautés ashkénazes. Il s’agissait de coutumes de femmes qui se transmettaient de mère en fille et qu’il était très difficile de réfuter. De ce fait, on trouve une série de décisionnaires qui tentent de faire face à cette situation. D’un côté, ils font des compromis avec les traditions existantes et estiment qu’ils doivent défendre ces coutumes des femmes. D’un autre côté, ils tentent de limiter ces coutumes d’éloignement étant donné qu’il ne s’agit que d’une attitude rigoriste et non pas de halakha  .

8) Un certain nombre de décisionnaires contestent explicitement les coutumes des femmes qui s’éloignent du sacré pendant leurs menstruations. Cette opposition montre que même à l’époque des aharonim, ces coutumes d’éloignement n’avaient pas disparu et de nombreuses femmes persistaient dans ces traditions. C’est seulement à partir du dix-neuvième siècle que l’on peut constater une forte baisse du maintien de ces coutumes au sein du judaïsme ashkénaze et de nos jours, ces attitudes strictes ont presque complètement disparu parmi les femmes ashkénazes.

9) Il est intéressant de constater qu’à notre époque, c’est justement au sein des communautés séfarades que l’on trouve de nombreuses femmes qui s’abstiennent de fréquenter la synagogue et parfois même de prier pendant leurs menstruations, à l’image du comportement des femmes ashkénazes d’autrefois. Cette nouvelle réalité a poussé le rabbin   Ovadiah Yossef   à statuer : "Les femmes ont l’obligation de prier et de réciter toutes les bénédictions pendant la période où elles sont nida  , et même pendant leurs règles ".

10) On peut donc conclure que selon la halakha  , il n’existe aucune interdiction pour la nida   d’entrer dans une synagogue ou de toucher les rouleaux de la Torah et les livres saints. Les femmes nidot ont l’obligation de réciter les prières et les bénédictions, comme toute autre personne appartenant au peuple juif.

L’éloignement de la femme de la synagogue et du sacré pendant ses menstruations

a été écrit par les rabbins   Diana Villa et Monique Susskind Goldberg

sous l’égide du Centre de recherche sur la femme dans la loi juive à l’ Institut Schechter   d’études juives

Jérusalem, Décembre 2007

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Hayes, Christine, "Purity and Impurity, Ritual", Encyclopedia Judaica, seconde édition, 2007, Vol. 16, pp. 746-756

Heinemann, Joseph, Hatefila betekoufat hatanaïm vehaamoraïm [La prière à l’époque des tanaïm et des amoraïm], Jérusalem, 1978 (hébreu)

Klein, Isaac, A Guide to Jewish Religious Practice, New York, 1979

Lieberman, Saul, Sheki’in, Jérusalem, 1939 (hébreu)

Mack, Hannanel, "Rabénou Hananel ben Hushiel", dans Torah Lishma, Essays in Jewish Studies in Honor of Professor Shamma Friedman, éds. David Golinkin, Moshe Benovitz, Mordechai Akiva Friedman, Menahem Schmelzer, Daniel Sperber, Université de Bar Ilan, The Jewish Theological Seminary of America, Institut Schechter   des Etudes Juives, Jérusalem, 2007, pp. 509-510 (hébreu)

Otzar Ha’Geonim   : Responsa   et commentaires des guéonim babyloniens selon l’ordre du Talmud  , ed. Menashe Levin, 1e partie, Haifa, 1931 (hébreu)

Schepansky, Israel, Hatakanot BeIsrael [Les Takanot en Israël], Vol. 1, Jérusalem, 1991-1993, pp. 204-218 (hébreu)

Zaakat Dalot, Pitronot - Monique Susskind Goldberg et Diana Villa, Zaakat Dalot, Pitronot Hélkhatiim Lebayat ha-Agounot   be-yaménou [Des solutions halakhiques au problème des Agounot   à notre époque], éditeurs : David Golinkin, Moshe Beinowitz, Shmuel Lewis, Institut Schechter   des Etudes Juives, Jérusalem, 2006 (hébreu)

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Glossaire de termes

Aharon(im) : Commentateur(s) du Talmud  * et décisionnaires, depuis l’époque du Choulhan Aroukh* jusqu’à nos jours.

Amora(ïm) : sage(s) du Talmud  * des années 220 à 500 de l’ère commune, qui enseignaient dans les Yechivot d’Israël et de Babylone.
Baal kèri : un homme qui a eu un écoulement séminal pour quelle raison que ce soit.

Baraïta   : matériel légal tannaïtique* qui n’est pas intégré au corpus de La Michna  * (d’où leur nom, "extérieures").

Baraïta   dé-Massékhèt Nida   : Œuvre écrite en Israël au 6e ou 7e siècle. Cette baraïta   n’est pas comprise dans la littérature talmudique. Les chercheurs sont divisés quand à l’auteur de cet écrit et le groupe dont il faisait partie. Cette baraïta   a eu une influence sur le Séfèr Hamiktso’ot* et sur le hassidisme   ashkénaze*.

Choulhan Aroukh : Code de lois datant du 16e siècle, rédigé par R. Joseph Caro  •. Ce code comporte aussi les gloses de R. Moché Isserles  , le Rema•. Le Choulhan Aroukh complété des gloses du Rema• sera la référence législative universellement acceptée par le peuple juif au 16e siècle, et continue de nos jours encore à être une œuvre fondamentale de la halakha  .

Choses sacrées : Pour les besoins de ce fascicule, les "choses sacrées" désignent les livres sacrés, les synagogues, les objets du culte, les prières et les bénédictions.

Guéonim : Sages   des écoles talmudiques de Babylone du 7e au 11e siècle. Ils font autorité à Babylone, en Afrique du Nord et en Espagne. Ils établirent les règles pour déterminer la halakha   et écrivirent des commentaires, des livres de lois et des responsa  .

Hayé Adam : Œuvre halakhique traitant des sujets de Orah Hayim. Composée par R. Abraham Danzig (Pologne, Prague et Vilna, 1748-1820). Il a paru environ soixante éditions de ce livre et il eut une très grande influence sur les communautés Ashkénazes en général et en particulier sur ses décisionnaires.

Hassidisme   Ashkénaze : Mouvement qui s’est développé au sein du judaïsme Ashkénaze à partir du 12e siècle, dirigé par R. Samuel Hahassid et son fils Judah Hahassid• de la famille Kalonimus d’origine italienne. Le hassidisme   Ashkénaze développa une théologie ésotérique qui avait ses racines dans la littérature des Hékhalot*.

Hékhalot : Littérature mystique composée en Israël au 5e-6e siècle (cet écrit comprend sans doute du matériel datant du 4e siècle). Ces textes arrivèrent par la suite à Babylone, en Italie et en Ashkénaze. Cette littérature a eu une grande influence sur le hassidisme   Ashkénaze*.

Maguène Abraham : Un des commentaires les plus importants du Choulhan Aroukh Orah Hayim ; écrit par le Rabbin   Abraham Gombiner (Pologne, 1637-1683).

Michna   : traité de lois rassemblées et éditées par Rabbi Yehouda
Hanassi, autour de l’an 220 de l’ère commune.

Michna   Beroura : Commentaire halakhique du Rabbin   Israël Meir Hacohen surnommé le Hafètz Hayim (Pologne 1839-1933) sur le Choulhan Aroukh Orah Hayim. Cette œuvre est acceptée comme autorité halakhique jusqu’à notre époque.

Or Zaroua : Œuvre écrite par R. Isaac Ben Moché de Viennes (ca. 1180 - ca. 1250). Cet écrit comprend des décision halakhiques, des commentaires et des responsa   et a comme base la littérature des Richonim  * d’Ashkénaze. Ses décisions sont citées par beaucoup des grands décisionnaires.

Peri Hadach : Œuvre halakhique de R. Hizkiyah Da Silva (Italie et Israël, 1659-1698). Dans ce livre il traite de sujets du Choulhan Aroukh* Orah Hayim, Yoré Déa et Even Haézèr. En de nombreuses occasions il adopte des positions indépendantes dans ses décisions.
Richonim   : commentateurs du Talmud  * et sages   de la halakha   depuis l’époque des guéonim* (11e siècle) jusqu’au Choulhan Aroukh*(16e siècle).

Séfèr Ha’agour : Œuvre halakhique du Rabbin   Jacob ben Judah Landa (Ashkénaze et Italie, 15e siècle). Le livre traite des sujets de Orah Hayim et de Yoré Déa. Le Rabbin   Joseph Caro  • donne certaines de ces décisions dans le Choulhan Aroukh*.

Séfèr Hamiktso’ot : Œuvre halakhique datant de la fin de l’époque des guéonim* (11e siècle). Eut une grande influence sur la littérature du Hassidisme   Ashkénaze*.

Séfer Haravyah : Œuvre halakhique de R. Eliézer ben Joël ha-Lévi (Ravyah•). Ce livre est cité fréquemment par les décisionnaires ashkénazes et par le Choulhan Aroukh*.

Séfer Harokéah : Œuvre halakhique de R. Elazar de Worms (Ashkénaze, ca. 1160-ca. 1230) surnommé le Baal Harokéah, il fait partie de hassidisme   Ashkénaze* et est un disciple de Rabbi Judah Hahassid.

Tannaïm : sages   de l’époque de la Michna  *, agissent en Israël à la fin de l’époque du Second Temple et jusqu’en 220 de l’ère commune. Ils composent la Michna  * et de nombreuses baraïtot* (lois extérieures au corpus législatif), comme les Midraché halakha   et la Tossefta  *.

Toldot Adam Ve-Hava : voir Rabenou Yeroham.

Tossefta   : ensemble de matériel législatif (baraïtot*) de l’époque tannaïtique, comprenant des législations qui ne sont pas inclues dans la Michna  *. La Tossefta   suit l’ordre de la Michna  * et fut rédigée une génération plus tard.

Yemei liboun : Les sept jours propres* (sans saignement) qui suivent les règles. Le mot liboun provient de la racine "lbn" (prononcé lavan), blanc car les femmes avaient coutume de porter des vêtements blancs durant cette période pour mieux voir le moindre saignement.

Yemei réiya : Les jours des règles pendant lesquels du sang est visible. Les autorités ont fixé un minimum de quatre ou cinq jours pour cette période.

Yossèf Omètz : Œuvre halakhique du rabbin   Joseph Yozèfa Hahn (Ashkénaze 17e siècle). Il fut à la tête du tribunal rabbinique et rabbin   de Francfort. Ce livre, publié en 1630, comprend des lois et des coutumes pour toute l’année et particulièrement les coutumes de Francfort.

Messages

La femme face au sacré pendant ses menstruations

bonjour

je trouve ce résumé extrêmement intéressant car je suis actuellement en train de faire des recherches pour savoir quels sont les fondements réels de l’interdiction de prier ou toucher le Livre pour les musulmanes en état de menstruation.

cela n’apparait pas dans le Quran qui interdit seulement les rapports entre époux durant cette période.

étant donné que de nombreuses traditions sont issues de la religion juive et qu’on attribue cette interdiction de s’approcher du sacré (lieu, prière, texte, récitation, étude, selon les écoles juridiques) aux juifs, je suis ravie de lire qu’il s’agit d’ajouts successifs et d’interprétations dus à des excès de précautions décidés par des savants religieux et pas d’une interdiction s’appuyant sur une révélation divine.

merci !

cordialement

ym

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