D’une famille niçoise fixée à Nice depuis le Premier Empire, René Samuel Cassin, né à Bayonne (en 1887), mort à Paris (1976), est une grande figure de l’époque contemporaine.
Après de brillantes études au lycée de Nice, à la faculté de droit d’Aix-en-Provence puis à Paris, il se trouva engagé dans le premier conflit mondial et grièvement blessé au front en 1916, le jeune juriste mit ses connaissances au service des anciens combattants, dont il fut l’un des représentants à la Société des Nations. C’était d’abord sur eux, selon lui, que devait se fonder une paix solide.
Professeur aux universités de Lille puis de Paris, il dispensa aussi son enseignement à l’Académie de droit international de La Haye et à l’Institut des hautes études internationales de Genève. En 1924, Aristide Briand le désignait pour faire partie de la délégation française à la Société des Nations, où il se préoccupa du sort des minorités en prenant une part active aux travaux de l’Alliance Israélite Universelle.
La montée des totalitarismes dans les années 30 l’inquiéta très tôt. Il commença à songer à une déclaration des droits de la personne humaine.
Le 23 juin 1940, il fut l’un des premiers civils de quelque notoriété à rejoindre le général de Gaulle à Londres. Celui-ci lui confia la charge de régler les relations entre la Grande-Bretagne et la France libre. En 1943, à Alger il dirigea le Comité juridique nouvellement crée, dont il appréciait le "pouvoir régulateur". Il y défendit le droit à la citoyenneté des juifs et des musulmans algériens et prépara les mesures législatives d’après guerre.
En 1944, il devint vice-président du Conseil d’État et fut le promoteur de la Constitution de 1946. De même sa compétence fut appréciée lors de l’élaboration de la Constitution de 1958.
De 1946 à 1958, il est aussi représentant de la France aux Nations unies. Membre de la commission des droits de l’homme de l’ONU, il est le principal initiateur de la déclaration universelle des droits de l’homme, dont il rédige lui-même une grande partie.
Membre du Conseil constitutionnel de 1960 à 1971, il présida aussi de 1965 à 1968 la Cour européenne des droits de l’Homme, organe juridictionnel du Conseil de l’Europe.
Convaincu que ce serait par l’éducation que progresserait le respect des droits de la personne humaine, il fonda, en 1969, l’Institut international des droits de l’Homme, à Strasbourg.
Il reçut le prix Nobel de la paix en 1968.
Ses cendres furent transférées au Panthéon le 5 octobre 1987.
Judaïsme et droits de l’homme
René Cassin n’a pas agi en juif mais en homme, ce que tout juif doit d’abord être avant de prétendre à une spécificité culturelle et spirituelle juive.
Le judaïsme est une culture qui met en avant l’égalité du genre humain par le récit biblique de la création. La littérature rabbinique est habitée par un grand souci d’éthique universelle.
Cependant, les racines du judaïsme et ses textes fondateurs sont ancrés dans une époque lointaine qui acceptait l’idée d’esclavage, pensait que les hommes et les femmes avaient des droits et des devoirs différents, que les mêmes droits ne s’appliquaient pas à tous les peuples.
Certaines règles du judaïsme classique peuvent s’avérer inconciliables avec la Déclaration universelle des droits de l’homme. La plupart de ces règles, comme l’esclavage, n’existent plus depuis fort longtemps. On doit cependant oser les regarder avec un regard critique et les remettre dans leur contexte historique, c’est-à-dire qu’on doit accepter qu’elles ne sont pas l’expression d’une volonté divine éternelle, mais tout simplement l’expression de lois sociales correspondant à une étape de l’histoire juive. (Cela, même si l’on pense que l’inspiration divine faisait que ces règles étaient les plus humaines possibles pour l’époque, l’inspiration divine est elle-même contingente du temps humain et il faut parfois des centaines d’année à l’homme pour entendre certaines choses du divin…) Certaines règles posent cependant encore problème, comme l’inégalité des hommes et des femmes en matière de divorce ou d’autres domaines. Ces lois doivent être, soit neutralisées, soit réactualisées et les rabbins doivent trouver des solutions halakhiques de façon à résoudre les problèmes qui demeurent.
Un mouvement juif comme le mouvement massorti , les valeurs exprimées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme sont de vraies valeurs et l’interprétation moderne du judaïsme doit s’en inspirer du fait même de l’esprit universel qui émane de nos textes.
Le paradoxe est que nous avons à côté de textes discriminatoires d’autres textes qui insistent sur l’aspect universel de la dignité et égalité humaine. Que tous les hommes sont à l’image de Dieu, la michna de Sanhédrin, "kol ha-mastil nefech ahat" (qui au départ ne comporte pas la mention mi-israel), etc. Mais on résout la contradiction en comprenant que la réalité sociale doit rejoindre la situation idéale, et c’est cela, pour nous, l’effort messianique à l’œuvre dans l’évolution de la Halakha .
C’est pourquoi nous attachons, dans le mouvement Massorti , une grande importance à améliorer plusieurs points de halakha encore problématiques aujourd’hui, notamment celui du statut de la femme juive.
Extraits de la Déclaration
Préambule
Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.
Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme.
Considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression.
Considérant qu’il est essentiel d’encourager le développement de relations amicales entre nations.
Considérant que dans la Charte les peuples des Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité des droits des hommes et des femmes, et qu’ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrès social et à instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande.
L’Assemblée Générale proclame la présente Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les populations des Etats Membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction.
Article premier
Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.
Article 2
Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation.
Article 4
Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude ; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.
Article 5
Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Article 16
1. A partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution.
2. Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux.
3. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’Etat.
Article 18
Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.
En Israël
La question des droits de l’homme en Israël, qui bien entendu est membre de l’ONU et accepte la Déclaration universelle des droits de l’homme, est liée au conflit, elle n’est pas idéale mais largement supérieure aux pays alentour. Voir les rapports des organisations comme Amnesty sur la question.
Signalons enfin que pour des raisons liées à la position du rabbinat orthodoxe et du clergé musulman qui s’occupent du droit familial (mariage et divorce), les uns des juifs, les autres des musulmans, l’Etat d’Israël a signé seulement avec "réserves" la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes qui stipule entre autre :
Notant que la Déclaration universelle des droits de l’homme affirme le principe de la non-discrimination et proclame que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit, et que chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés qui y sont énoncés, sans distinction aucune, notamment de sexe,
Notant que les Etats parties aux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme ont l’obligation d’assurer l’égalité des droits de l’homme et de la femme dans l’exercice de tous les droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques, (...)
Préoccupés toutefois de constater qu’en dépit de ces divers instruments les femmes continuent de faire l’objet d’importantes discriminations,
Rappelant que la discrimination à l’encontre des femmes viole les principes de l’égalité des droits et du respect de la dignité humaine, qu’elle entrave la participation des femmes, dans les mêmes conditions que les hommes, à la vie politique, sociale, économique et culturelle de leur pays, qu’elle fait obstacle à l’accroissement du bien-être de la société et de la famille et qu’elle empêche les femmes de servir leur pays et l’humanité dans toute la mesure de leurs possibilités,
Article 5
Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour :
a) Modifier les schémas et modèles de comportement socio- culturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ;
Au sein du mouvement Massorti , nous sommes nombreux à souhaiter de vrais progrès sur les questions du divorce dans la Halakha et la fin du monopole du rabbinat orthodoxe qui met à mal le droit des femmes en Israël.