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Les femmes peuvent-elles réciter le Kaddich des endeuillés ?

Les femmes peuvent-elles réciter le Kaddich des endeuillés ?

résumé d’un responsum du rabbin David Golinkin -

Cette question a été traitée par de nombreuses autorités religieuses depuis le XVIIe siècle. De façon schématique, elles peuvent être classées en trois catégories : celles qui interdisent aux femmes de réciter le Kaddich  , celles qui le leur permettent dans certaines conditions, et celles qui les y autorisent dans tous les cas.

Nous montrons ci-dessous qu’aucune réserve inhérente à la Halakha   ne s’y oppose. Tous ceux qui défendent aux femmes de réciter le Kaddich  , à la mort de leurs parents, se fondent sur des considérations halakhiques externes ou sur des considérations sociologiques d’ordre général. Bien sûr, la Halakha   se doit de prendre en compte les données sociologiques, mais celles-ci ne sauraient pour autant l’emporter sur une décision allant clairement dans le sens du droit. Un responsum   allemand du XVe siècle semble indiquer qu’il n’était pas dans l’usage, et dans l’usage seulement, que les femmes récitent le Kaddich   des endeuillés. En outre, certaines réticences à autoriser cette pratique aux femmes sont liées aux conditions sociales du XVIIe siècle qui ne sont plus d’actualité aujourd’hui.

 Les partisans de l’interdiction :

Sur le sujet, le responsum   qui a eu le plus de répercussions fut rédigé par le rabbin   Yaïr Haïm Bakhrakh (Allemagne, 1638-1702). Celui-ci y invoque trois raisons pour lesquelles en principe, il y aurait lieu d’autoriser les femmes à réciter le Kaddich   : 1° Le Kaddich   consiste à sanctifier le nom de Dieu, ce qui constitue une mitsva que les femmes ont, elles aussi, l’obligation d’accomplir. 2° Tant que les hommes présents sont assez nombreux pour former un minyan  , il n’y a pas lieu de craindre que la récitation du Kaddich   par des femmes n’incite le public à les considérer comme pouvant compter pour le quorum requis. 3° Même si, dans la fameuse légende sur Rabbi Akiva et l’orphelin, qui a servi de fondement autorisant les enfants à réciter le Kaddich   des endeuillés, l’orphelin était un garçon, beaucoup estiment qu’une fille peut également être considérée comme « apaisant l’âme » de son père ou de sa mère défunte (par la récitation du Kaddich  ), puisqu’elle aussi incarne sa descendance.

Toutefois, le rabbin   Bakhrakh finit par interdire aux femmes de réciter le Kaddich  , estimant que permettre cette pratique pouvait jeter un discrédit sur l’observance des coutumes. En effet, estime-t-il, cela peut laisser penser que tout un chacun est habilité à modifier ou à instaurer de nouvelles coutumes sur la base de ses propres raisonnements, au risque de faire apparaître les paroles des Anciens comme insensées ou ridicules. Son opposition à la récitation du Kaddich   par les femmes, du seul fait qu’elle consisterait en l’invention d’une nouvelle coutume, a de quoi surprendre quand on sait que la récitation elle-même du Kaddich   par des endeuillés est une pratique qui surgit en France et en Allemagne entre le XIe et le XIIIe siècle, et que toute coutume, par définition, naît au sein du peuple et non sous l’impulsion de rabbins  . Curieusement, ce responsum   fut pourtant souvent cité et approuvé, puis réitéré par des rabbins   modernes tels que Haïm Hizkia Medini (Israël, 1832-1904) et Ben Tsion Ouziel (Israël, 1880-1953).

Un certain nombre de rabbins   se sont opposés à cette pratique pour d’autres raisons. Ainsi le rabbin   Chimôn Frankfurter (Amsterdam, mort en 1712) dresse-t-il une longue liste de justifications de la prohibition : l’atteinte à la dignité communautaire, le risque qu’une voix féminine, considérée comme « nudité », puisse susciter des pensées lascives, etc. En outre, à cette époque, un endeuillé avait l’habitude de réciter le Kaddich  , et de poursuivre avec le Barekhou qui est une invitation à la prière faite par l’officiant. Or, Frankfurter s’opposait à ce qu’une femme s’introduise dans la section de la synagogue réservée aux hommes pour y réciter le Kaddich   et en vienne à se substituer à l’officiant, en énonçant cette invitation. Le rabbin   Yehezkel Katznelenbogen (Lettonie, 1670-1749) s’oppose purement et simplement à cette pratique sans même fournir d’explications. Le rabbin   Zalman Margaliot (Ukraine, 1760-1828) l’interdit lui aussi, car il juge indécent qu’une femme récite une prière, et que des hommes y répondent, en disant « amèn ». Il suggère que la fille du défunt vienne régulièrement à la synagogue et réponde, elle, « amèn » avec toute l’attention requise, de sorte que Dieu considèrera cela comme si elle avait récité le Kaddich  . Enfin, le rabbin   Abraham Benyamin Zilberberg (Pologne, USA, XXe s.) évoque quatre raisons : 1° Il craint que l’on en vienne à penser que les femmes puissent compter dans le minyan   pour le Kaddich   et pour le Barekhou. 2° Il n’a jamais entendu parler d’une telle coutume en Pologne. 3° Toutes les autorités citées dans le Sedé hemed (de Haïm Hizkia Medini) s’accordent à penser que c’est interdit. 4° D’après la légende de rabbi Akiva et d’autres sources talmudiques, il ressort que seul un fils octroie par sa récitation un mérite à son parent décédé.

Toutes ces justifications invoquées ont un caractère purement arbitraire et conjoncturel. Elles ne résistent pas à un examen rigoureux. L’atteinte à la dignité communautaire, par exemple, est un argument qui a été invoqué dans les sources talmudiques pour s’opposer à la lecture de la Tora par des femmes, et non à la récitation publique d’une prière. Et comme le montre l’argumentation du rabbin   Bakhrakh, ce n’est pas parce qu’une femme récite le Kaddich  , qu’elle serait nécessairement comptée dans le minyan  . Par ailleurs, le fait que cette coutume n’ait pas été pratiquée par les femmes en Pologne ne constitue pas un motif suffisant pour la rejeter. Or la plupart des autorités tardives se contentent de citer le responsum   du rabbin   Bakhrakh, sans se pencher eux-mêmes sur les arguments. Il apparaît donc que les partisans de l’interdiction se fondent sur des incidences sociologiques présumées, tout en reconnaissant que, sur le plan purement halakhique, rien ne s’oppose à ce qu’une femme récite le Kaddich  .

 Les autorités qui permettent aux femmes de réciter le Kaddich   dans certaines circonstances :

Le rabbin   Yaâkov Reicher (Allemagne, 1670-1733) a autorisé une petite fille âgée de quatre ans à réciter le Kaddich   pour son père, dans un minyan   réuni au domicile familial, préférant cette solution à celle de faire dire le Kaddich   par le grand-père, pour son fils. Il a cependant interdit à la fillette de le faire à la synagogue, mais sans fournir d’explication. Peut-être pensait-il lui aussi qu’une fille ne pouvait réciter le Kaddich   dans la section des hommes. En revanche, il insiste sur le fait qu’une fille est en mesure d’apaiser l’âme de son père, au même titre qu’un fils. Les rabbins   Abraham Yitshak Glick (Hongrie, 1814-1909) et Haïm David Halevi (Israël, XXe s.) se rangent tous deux à son opinion. Le rabbin   Elâzar Flikeles (Prague, 1754-1826) cite en l’approuvant une coutume ancienne de Prague, selon laquelle des petites filles âgées de cinq et six ans se plaçaient dans le vestibule de la synagogue pour réciter le Kaddich  , après la lecture des psaumes. En revanche, il n’a jamais vu de femmes ou de filles réciter le Kaddich   dans la section des hommes, ce à quoi il s’oppose au nom du Zohar : « une femme dans la maison de Dieu est comme une idole placée là » ! Ainsi ne voit-il rien de foncièrement mauvais à ce que les femmes récitent le Kaddich  , à condition qu’elles ne le fassent pas dans la partie de la synagogue réservée aux hommes. Le rabbin   Yehiel Michal Tukechinsky (Israël, XXe s.) cite diverses coutumes relatives à la récitation du Kaddich   par des fillettes, et leur accorde son aval. Toutefois, il s’oppose radicalement à ce que cela s’applique aux filles âgées de douze ans et plus, mais sans étayer son point de vue.
Ainsi ces autorités reconnaissent-elles que rien ne s’oppose fondamentalement à ce qu’une fille récite le Kaddich   pour son père, mais certaines l’interdisent dans les synagogues et d’autres la limitent aux filles de moins de douze ans.

  Les autorités qui permettent aux femmes de réciter le Kaddich   :

Trois rabbins   estiment pour leur part que les filles et épouses du défunt ont le droit de dire le Kaddich   : Eliezer Zalman Grayevsky (Europe de l’est, Angleterre, Israël, 1843-1899), Joseph Eliyahou Henkin (Europe de l’est, New York, 1880-1973) et Isaac Klein (Russie, USA, 1880-1973). Plutôt que de dresser ici la liste de leurs argumentations respectives, nous regroupons ici six d’entre elles :

1° Le but principal du Kaddich   est de sanctifier le nom de Dieu en public, selon le verset « Je serai sanctifié du sein des enfants d’Israël » (Lv 22:32). Sachant que ce commandement est considéré comme devant être également appliqué par les femmes, comment peut-on interdire à ces dernières de réciter le Kaddich   ?
2° En récitant le Kaddich  , l’enfant - garçon ou fille - accomplit le précepte d’honorer son parent, car il exprime sa détermination à s’inscrire dans la filiation spirituelle de sa famille, et par là, contribue au mérite du défunt et au pardon de ses péchés.
3° Le Kaddich   des endeuillés n’est pas un devoir qui se suffit à lui-même : il symbolise l’accomplissement par l’enfant de toutes les autres mitsvot. Tout comme un fils, une fille exprime, en récitant le Kaddich  , sa fidélité au devoir d’accomplir l’ensemble des commandements dont elle a, elle aussi, l’obligation.
4° La légende de Rabbi Akiva et de l’orphelin ne doit pas être prise dans un sens trop littéral. Certes, elle met en scène un garçon qui a perdu son père, mais n’entend pas exclure les filles pour autant. Bien au contraire, une fille faisant, elle aussi, partie de la descendance du défunt, elle procure l’apaisement de l’âme de son père ou de sa mère, quand elle récite le Kaddich   pour eux.
5° Sachant qu’il est permis à un étranger inconnu du défunt de réciter le Kaddich   pour lui, comment pourrait-on empêcher l’orpheline de sanctifier le nom de Dieu en l’honneur de son père ou de sa mère ?
6° Dans une proportion très large de synagogues à travers le monde, les femmes et les filles récitent le Kaddich   des endeuillés. Ces communautés se réfèrent à deux principes talmudiques : « Les actes parlent mieux que les mots », et « Sortez et observez ce que font les gens. » Ainsi, cette coutume très répandue, associée à toutes les raisons évoquées ci-dessus, indique-t-elle clairement que les femmes ont le droit de réciter le Kaddich   des endeuillés.

Nous conclurons par les paroles d’Henrietta Szold, fondatrice de l’association caritative Hadassah et première directrice du mouvement Youth Aliyah. Elle-même était l’aînée de huit filles. En 1916, sa mère mourut et un ami nommé Haïm Peretz se proposa de réciter le Kaddich  . La jeune fille déclina cette proposition dans une lettre émouvante : « Je connais bien et je comprends ce que vous dites à propos de la coutume juive qui m’est très chère et sacrée. Et cependant, je ne puis vous confier de réciter le Kaddich   pour ma mère. À mon sens, le Kaddich   équivaut, de la part du survivant, à une manifestation publique et marquée de son souhait et de son intention d’assumer le lien qu’avait son père ou sa mère avec la communauté, de sorte que la chaîne de la tradition demeure intacte de génération en génération, chacun venant y ajouter son propre maillon. Vous pouvez faire cela pour les générations de votre famille, mais pour ma part, j’ai à l’accomplir pour la mienne... » Henrietta Szold récita donc le Kaddich   pour ses deux parents.
Nous approuvons son point de vue. Nous estimons qu’elle a eu raison de le faire et a agi conformément à la Halakha  .

Traduction de l’anglais par Elisabeth Kern

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Ce site confirme ce qui a été ramener au nom du premier décisionnaire, qu’à la fin chacun suit ces raisonnements personnels...

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