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Avant la guerre d’indépendance de 1948 - la diplomatie

Avant la guerre d’indépendance de 1948 - la diplomatie

Echec d’une négociation, pour manque de réponse du côté arabe à l’époque

lettre d’Elias (Eliahou) Sasson,
diplomate israélien de haut rang,
à Azzam Pacha, secrétaire général de la Ligue arabe,
5 décembre 1947

Source : Etat d’Israël et Organisation sioniste mondiale
Documents politiques et diplomatiques, décembre 1947-mai 1948
Responsable de la publication : Guedalia Yoguev, Jérusalem 1979
3 décembre 1947

Cher Azzam Pacha,

Voilà un certain temps déjà que je souhaite vous écrire, mais j’hésitais à le faire avant que les Nations-Unies aient adopté leur décision sur la Palestine. Maintenant que cette étape a été franchie, et qu’un nouveau chapitre est sur le point de s’ouvrir, je ne voudrais pas repousser plus longtemps cette démarche, surtout à la lumière des informations rapportées par la presse au cours des derniers jours, concernant vos plus récents propos sur la Palestine et la décision de l’Assemblée générale.

Nous ne sommes pas ivres de victoire, cher Azzam Pacha, bien que la majeure part de la communauté internationale ait reconnu la justesse de notre cause, après le plus rude combat politique que nous ayons jamais dû endurer et l’examen le plus exhaustif de notre problème que nous ayons jamais dû affronter. Nous savons qu’une formidable tâche nous attend encore. Il s’agit d’un effort, sans précédent dans l’histoire de l’humanité, pour construire une nation.

Nous devons surmonter des obstacles qu’aucun autre peuple sur terre n’a jamais dû affronter. Mais si nous ne versons pas dans le triomphalisme, nous ne sommes pas non plus timorés. Notre foi dans le triomphe ultime de notre cause ne repose pas sur ces forces matérielles que vous avez évoquées cette semaine au cours de votre intervention au quartier général de votre organisation. Ce n’est pas par la force matérielle que notre peuple a été capable de résister à tant d’oppresseurs au cours des siècles, à la puissance de Rome, à l’Inquisition de l’Espagne, au despotisme de la Russie tsariste et au poing de fer hitlérien. La force matérielle a toujours été exercée contre nous. Nous avons survécu par la seule force de l’esprit. Un peuple qui, après dix-huit siècles d’exil et d’incessantes persécutions, a encore la force spirituelle et la virilité nécessaires pour construire une nouvelle civilisation, n’est pas un facteur que l’on peut traiter avec mépris. Ce n’est certainement pas un élément que l’on peut faire disparaître par la force brutale, comme certains de vos amis semblent enclins à la penser.

Cela ne signifie pas que nous sous-estimions le tort et la souffrance que la force brutale peuvent nous infliger. Il n’y a pas un peuple au monde qui ait payé un aussi terrible prix que nous pour survivre. Nous avons fait nos calculs et nous savons ce qu’il nous faudra affronter. Nous ne pensons pas seulement en termes de semaines et de mois. Nous pensons en termes d’années et de décennies. Mais nous savons qu’aussi amer et long que soit notre combat, nous l’emporterons parce que notre cause est celle de l’esprit. Jamais encore au cours de l’histoire de l’humanité une telle cause n’a été écrasée par la force. Nous n’avons pas le choix sur cette question. Une nécessité absolue nous oblige à accomplir ce parcours, c’est le seul moyen que nous avons d’assurer notre survie en tant que peuple.

Le choix est entre vos mains. C’est à vous de choisir si vous voulez entraver ou faciliter notre réintégration au Moyen-Orient. Je sais que la plupart d’entre vous sont encore enclins à opter pour la première possibilité. Vous avez réussi à obtenir la liberté et l’indépendance, au cours de cette génération, mais une grande partie d’entre vous n’est pas prête à accorder à d’autres, de la même manière, le droit de vivre et d’être libres. Pourtant, les forces et les besoins qui vous ont permis d’accéder à la liberté sont aussi à l’origine de notre effort pour assurer notre liberté. Et en vous préparant à contrecarrer notre effort de libération nationale par la force brutale, vous vous placez exactement dans la même position que ceux qui se sont opposés à votre effort de libération. J’ai trop de respect pour l’intelligence politique des Arabes, parmi lesquels j’ai grandi et vécu toute ma vie, pour oser leur proposer des conseils politiques, mais aucun homme doué d’imagination ne peut manquer de voir que ces leaders vous entraînent vers l’abîme et placent votre peuple dans une situation qui est à l’inverse même de toutes les idées dont votre mouvement de libération nationale a tiré sa force et auxquelles il doit son succès. Comme je l’ai dit plus haut, nous ne sous-estimons pas votre force, mais je ne puis que vous inviter humblement à ne pas sous-estimer la nôtre non plus. Comme je l’ai dit, notre force prend racine dans la puissance de l’esprit et dans celle de la nécessité, mais ce sont des forces qui peuvent aussi mobiliser la force physique. Nous ne sommes peut-être pas nombreux, mais notre courage est grand et nous jouissons à présent d’une force supplémentaire, qui est loin d’être négligeable, découlant de la décision de l’écrasante majorité des Nations-Unies. Nous pouvons subir des revers, mais notre peuple, ici et ailleurs, ne renoncera pas au combat, et si cette lutte se prolongeait, elle amènerait inévitablement sur le terrain des forces qui risqueraient de menacer non seulement notre indépendance mais aussi la vôtre. La paix et la liberté sont indivisibles. Que personne ne s’imagine que la liberté de nos voisins pourrait survivre à la suppression de la nôtre. Que personne ne s’imagine que la Palestine pourrait être inondée de sang tandis que ses voisins continueraient à vivre en sécurité.

Il existe heureusement une voie très différente qui s’offre à vous et à nous. Certains de vos leaders ont déclaré aux peuples arabes que nous constitutions une menace pour votre sécurité, que la Palestine n’était pour nous qu’une tête de pont à partir de laquelle nous nous lancerions à la conquête de l’ensemble du Moyen-Orient. Ils ont si souvent répété ces affirmations qu’à mon avis, une grande partie d’entre eux y croient sincèrement. Mais aussi sincère que soit cette conviction, elle n’en reste pas moins une appréhension complètement absurde. Les Juifs ne sont pas revenus en Palestine pour conquérir ou supprimer quelqu’un, mais pour trouver un foyer sur la seule terre qui peut leur offrir un tel foyer, dans le seul pays auquel ils sont reliés par une chaîne historique qui n’a jamais été rompue et qu’il est impossible de briser. Ils veulent un foyer en Palestine et nulle part ailleurs. La Syrie, l’Irak et les autres sont pour nous des pays aussi étrangers que l’Afrique orientale ou l’Amérique du Sud. Lorsque l’on examine à nouveau cette question d’un point de vue pratique, on peut se demander quelles justifications pourraient légitimer ces craintes. Croyez-vous que la reconstruction d’un Etat juif dans une partie de la Palestine sera une tâche aisée ? Croyez-vous que le transfert et l’installation de Juifs venus d’Europe et d’ailleurs, sur une terre qui, dans sa plus grande partie, n’est aujourd’hui qu’un désert, seront menés à bien sans grand effort ? Le nombre des Juifs qui viendront s’installer en Palestine n’est pas assez élevé pour constituer la plus faible menace pour les 40 millions d’Arabes qui peuplent le Moyen-Orient, dont le nombre grandit d’année en année, qui disposent de vastes territoires et de possibilités illimitées. Il faut un état d’esprit proche de la folie pour brandir l’épouvantail d’une conquête juive du Moyen-Orient. Cela peut constituer un bon slogan pour exciter une foule fanatique. Mais cela devrait être tourné en dérision dans les réunions d’hommes d’Etat responsables.

Nous nous trouvons, vous et nous, à la croisée des chemins de l’histoire. Tout dépend de vous : allez-vous entraver nos efforts ou nous accepter comme nous le demandons, en enfants de l’Orient retournant, après des siècles d’exil forcé, sur la Terre de nos Pères. Je ne vais pas m’adonner à la prophétie, mais je voudrais vous dire, à vous qui avez je pense le sens des perspectives historiques, que ces enfants d’Israël qui rentrent chez eux peuvent constituer une grande source de bénédiction pour le Moyen-Orient dans son ensemble. Ils ont été chassés contre leur gré et ils ont apporté une grande contribution à leurs pays d’adoption. Ils reviennent aujourd’hui, chargés des trésors de cette expérience unique acquise par un peuple d’Orient dans les pays occidentaux, pour trouver ici ce qu’aucune autre terre ne peut leur donner : des racines dans le sol, la paix, la sécurité, un foyer. Leurs efforts seront concentrés sur cette seule tâche et sur cette seule terre, mais ce qu’ils réussiront à accomplir ici aura inévitablement aussi des effets bénéfiques sur leurs voisins et contribuera à la renaissance générale du Moyen-Orient, dont dépendent pour une large part la paix, la sécurité et la prospérité de tous ceux qui y vivent. Tel est, en tout cas, notre espoir, auquel nous nous accrochons en dépit de tout ce qui nous est infligé ces derniers jours. Au cours de la semaine écoulée, face aux efforts délibérés pour nous entraîner dans un conflit et nous pousser aux représailles, notre peuple a fait preuve de retenue et nos leaders ont continué à tendre la main de la paix et de la coopération à nos voisins arabes. Notre travail de reconstruction sera mené, que nos voisins le veuillent ou pas, mais la part que notre nouvelle communauté prendra dans la renaissance du Moyen-Orient dépendra d’eux. Le choix est entre leurs mains. Je terminerai en citant un passage de notre sainte Bible : "J’ai placé devant toi la vie et la mort, le bonheur et la calamité ; choisis la vie ! et tu vivras alors, toi et ta postérité."

Sincèrement vôtre,

Elias Sasson

Cette lettre n’a jamais reçu de réponse

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