est devenu en effet le symbole du politicien sans scrupule, à la recherche du pouvoir pour le plaisir de régner et, de plus, sachant utiliser la démagogie pour tenter de trouver un soutien parmi le peuple.
[*La "dispute de Korach", au cours de laquelle, sous prétexte de défendre la démocratie, ce cousin de Moïse a tenté de lui ravir le pouvoir, est devenue emblématique de ce qu’est une "mauvaise dispute".*] Parmi les nombreuse sources rabbiniques qui traitent de ce sujet, nous voudrions nous intéresser à un passage qui se trouve dans le cinquième chapitre des Chapitres des Pères (Mishna Avot, 5, 17) :
"Kol machloket shéhi leshém shamayim, sofa léhitkayém, véshéeina léshem shamayim, ein sofa léhitkayém. Eizo hi machloket léshem shamayim ? Zo machloket Hillel véshamaï ! Véshéeina léshem shamayim ? Zo machloket Korach vékhol adato".
Tentons de traduire ce passage : "Toute dispute qui est au nom du ciel, sa fin est d’exister, et qui n’est pas au nom du ciel, sa fin n’est pas d’exister. Quelle est la dispute au nom du ciel ? C’est la dispute entre Hillel et Shamaï ! Et celle qui n’est pas au nom du ciel ? C’est la dispute de Korach et de sa bande !"
Deux expressions sont difficiles à comprendre dans cette mishna . La première concerne "la dispute qui est au nom du ciel". Comment l’interpréter ? Une première façon, est de la comprendre de la manière la plus étroite possible : [*la seule dispute valable est celle qui vient rendre hommage à Dieu*]. Hillel et Shamaï, ces deux grands maîtres, était des hommes pieux qui ne recherchaient que Sa gloire dans les disputes qui les opposaient. Korach, au contraire, recherchait uniquement dans la dispute son intérêt personnel, n’hésitant pas à se placer en opposition à la volonté divine. Cependant, beaucoup de grands commentateurs, comme Maïmonide par exemple, ont considéré qu’[*il était question ici de la recherche de la Vérité. La dispute au nom du ciel concerne une démarche honnête pour savoir où est le vrai, quelque soit le domaine, et c’est là ce que faisaient Hillel et Shamaï.*] La dispute qui n’est pas au nom du ciel a pour but, en réalité, les intérêts étroits de celui qui la déclenche, et l’histoire de Korach correspond bien à cette définition.
Si la dispute a pour but d’arriver à l’expression de la vérité, la formule "sa fin est d’exister" est, elle, encore beaucoup plus obscure.
Le rabbin Obadia Mébartenoura, commentateur classique du XVe siècle, l’interprète de la manière suivante : [*si le but est effectivement la recherche de la vérité, alors la dispute finit par exister dans le sens : finit par se résoudre.*] Et il poursuit : "comme l’on dit habituellement : de la confrontation apparaît la vérité, ce qui s’est avéré pour la dispute entre Hillel et Shamaï, où la Halakha (loi) a été fixée en fonction de l’opinion de l’école de Hillel". Par contre, ajoute-t-il, le but de la dispute de Korach était le pouvoir et l’honneur, et elle n’a pas continué à exister puisque qu’ils ont obtenus exactement le contraire.
On le voit, pour le Barténoura, il n’existe qu’une vérité et si on la recherche vraiment, honnêtement, l’une des deux parties finit par reconnaître que l’autre a raison. Cette approche est largement partagée dans le Judaïsme. Pour beaucoup de gens, il est possible de trouver la vérité, et la "machloket", la dispute entre les sages , n’est que le moyen d’arriver au but final : le Judaïsme dans son expression véritable.
Cependant, un autre commentateur, Rabbi Yona, un cousin de Nachmanide et qui vivait au XIIIe siècle, amène lui un regard tout à fait différent, et voici ses paroles : "ceci veut dire que lorsqu’il est dit "Toute dispute qui est au nom du ciel, sa fin est d’exister", l’intention est qu’ils seront en dispute à jamais. Aujourd’hui ils se disputeront à propos d’une chose, le lendemain à propos d’une autre – et cette dispute existera et continuera d’exister entre eux pendant toute leur vie ! Et pas seulement cela, mais de plus ils auront une longue vie et des années leur seront rajoutées. Tandis que dans le cas d’une dispute qui n’est pas au nom du ciel, dès le premier échange ils seront terminés, ils disparaîtrons, et ils mourront, comme ce fut le cas au cours de la dispute de Korach".
[*Rabbi Yona a donc une vue complètement différente du Judaïsme. La dispute n’est pas un moyen, mais bien un but. Au niveau des hommes, il n’y a pas "une vérité", mais plusieurs, et chacun peut rester campé sur ses positions, s’il le fait honnêtement, "au nom du ciel".*] Ce Judaïsme pluriel, voir pluraliste, n’était pas, pour Rabbi Yona, qu’une simple proposition intellectuelle. Lorsque la dispute concernant les œuvres de Maïmonide a éclaté, il avait d’abord pris position du côté de ceux qui considéraient les œuvres de celui-ci comme tellement éloignées de la "vérité classique", qu’il fallait les censurer, voire même les brûler (on le fera effectivement à Montpellier en 1228). Puis il changea d’opinion, et toute ses travaux furent consacrés à exprimer ses regrets d’avoir cru qu’il ne fallait laisser la parole qu’à une seule sorte d’approche.
Car, comme le disait le Rav Kook , [*c’est dans le dévoilement de toutes les faces de la vérité que réside le secret de la délivrance*].
Rabbin Alain Michel – Rabbin Massorti à Jérusalem et historien
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