Depuis plus de 2 000 ans, le judaïsme rabbinique a traditionnellement assigné un lieu spécifique à la conservation des textes hébreux qui ne devaient plus être diffusés (genizah). Le célèbre Genizah du Caire fut constitué principalement entre le dixième et le treizième siècle, et éclaire tous les aspects de la vie médiévale orientale
La genizah du Caire est une collection de manuscrits juifs rédigés entre 870 et 1880 retrouvés dans le genizah de la synagogue de Fustat construite en 880 et dans le cimetière Basatin situés tous deux dans le vieux Caire. Certains textes de la Genizah du Caire furent vendus par des responsables de la synagogue à des marchands et à des visiteurs dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. De célèbres bibliothèques à Saint Pétersbourg, Paris, Londres, Oxford, New-York (40 000 manuscrits au Jewish Theological Seminar) et Philadelphie ont ainsi acquis d’importantes collections, mais ce fut Solomon Schechter qui obtint l’autorisation de la communauté pour transférer 140 000 exemplaires à la bibliothèque de l’université de Cambridge en 1897.
L’importance de cette documentation pour retracer l’histoire sociale et économique entre 950 et 1250 est inestimable. L’historien Shlomo Dov Goitein (1900-1985) a établi à partir de la genizah du Caire un index recensant près de 35 000 personnes dont 350 personnalités (entre autres Maimonide et son fils Abraham), 200 familles de renom et un inventaire de 450 professions et 450 marchandises. Il a retrouvé des documents provenant d’Egypte, de Palestine, du Liban, de Syrie, de Tunisie et de Sicile et des documents attestant d’un commerce avec l’Inde. Les villes citées vont de Samarkande à Séville, d’Aden (Yemen) à Constantinople. L’Europe est représentée par ses ports méditerranéens (Narbonne, Marseille, Gènes, Venise) mais également par Kiev et Rouen.
Les juifs qui ont rédigé les documents retrouvés dans la genizah étaient familiers de la culture et de la langue de leurs contemporains. La communauté de Fustat a choisi de conserver la plupart des écrits qui sont passés entre ses mains, sans s’attacher à leur statut religieux. Cette décision est à l’origine d’une collection unique en termes de patrimoine historique et culturel mondial et d’une source fondamentale dans le domaine des études médiévales hébraïques et juives. La genizah du Caire est constitué d’un très grand nombre de livres, la plupart sous forme de fragments que Goitein estime à plus de 250 000. Ces fragments traitent aussi bien de textes sacrés (Talmud , Bible, Coran) que des occupations quotidiennes des communautés juives, le commerce et l’agriculture qui nous montrent que leurs coutumes étaient identiques à celles des communautés musulmanes et chrétiennes. Des documents administratifs et juridiques ainsi qu’une simple correspondance entre les membres de la communauté juive représentent une partie plus infime de cette fantastique documentation mais néanmoins impressionnante (environ 10 000 documents). Les textes du Genizah étaient rédigés en différentes langues, en hébreu, en arabe (parfois en utilisant l’alphabet hébraïque), en araméen, sur du vélin ou du papier, mais également sur du papyrus et du tissu.
Dans l’Antiquité et au début du Moyen-Age, il est vraisemblable que des genizot existaient dans de nombreuses communautés juives. Il semble que certaines d’entre elles enterraient les textes à ne pas divulguer, alors que d’autres les mettaient dans des caves après les avoir enfermées dans des réceptacles adaptés. De temps en temps les genizot étaient vidées et leur contenu brûlé dans un cimetière. Malheureusement le taux de survie des genizot est très faible, les ravages du temps et du climat d’une part et les vicissitudes de l’histoire juive d’autre part ont favorisé leur transformation en poussière, ou ont considérablement compliqué la recherche de ces textes. Toutefois, dans le cas du Caire médiéval à Fustat, la première étape du dépôt dans la genizah de la synagogue ne semble pas avoir été suivi du stockage dans une cave ou un cimetière. Il semble même que le matériel déposé dans le genizah au début de la rénovation de la synagogue de Fustat en 1025 ait été préservé par le climat chaud et sec. De plus la genizah était situé dans une remise accessible seulement par un trou dans le mur rendant son accès très difficile. C’est peut être par crainte qu’un cortège funéraire qui mènerait au cimetière pour la crémation des textes ne soit attaqué, que le contenu du genizah est resté pratiquement intact jusqu’au 19e siècle quand des historiens ont commencé de s’y intéresser. Les études de Goitein montrent que le nombre de documents engrangés diminue vers 1266, pour augmenter vers 1500 coïncidant avec l’arrivée massive de réfugiés d’Espagne.
La première description de la genizah du Caire apparaît en 1864 par Jacob Saphir, un savant de Jérusalem, dans son livre Iben Safir mais sans analyse du contenu. Quelques années plus tard, plusieurs documents extraits du genizah ont été vendus par des trafiquants du Caire mais ce n’est que dans les années 1890 que les textes ont été sortis en masse du genizah, lors de la rénovation du bâtiment. Plusieurs historiens et chercheurs occidentaux visitèrent le genizah pour en extraire son contenu et présenter leurs découvertes à de nombreuses académies des sciences et bibliothèques en Europe et aux Etats-Unis. Malheureusement, la collection entreposée à la bibliothèque de Frankfort a été détruite pendant la deuxième guerre mondiale sans laisser de traces. Plusieurs documents du genizah ont également été dispersés dans des collections privées ou des bibliothèques, par l’intermédiaire de savants en mission ou des antiquaires du moyen orient.
Il est intéressant de noter que Solomon Schechter , un des fondateur du mouvement juif massorti (conservative ) américain, n’eut au début que très peu d’intérêt pour ces documents précieux qu’il envoya directement et sans les ouvrir à la Bibliothèque Bodleian de l’Université d’Oxford. Cependant Schechter changea d’avis quand, en 1896, deux sœurs écossaises lui montrèrent des feuilles de la genizah contenant le texte en hébreu de l’Ecclésiaste connu jusqu’à lors uniquement en Grec et en Latin. Il leva rapidement des fonds pour une expédition vers la genizah du Caire où il sélectionna un trésor équivalent à 3 fois la taille de n’importe quelle autre collection, destiné à l’université de Cambridge. Plusieurs autres documents furent littéralement déterrés une dizaine d’années plus tard, dans le cimetière Basatin et aussitôt vendus à différentes bibliothèque dont celle de la Smithsonian Institution de Washington. Plusieurs historiens ont publiés des fragments et des commentaires de la genizah du Caire. La première publication scientifique est due à Adalbert Merx en 1894 dans son Document de Paléographie Hébraïque. Trois volumes comprenant des textes choisis par Schechter ont été publiés après sa mort (de son vivant ses responsabilités au sein du Jewish Theological Seminary l’avait malheureusement empêché de s’adonner comme il l’aurait voulu à une étude approfondie de ces documents). Jacob Mann publia en 1920 une recherche très complète sur les documents détenus par la bibliothèque de Cambridge qui fait encore référence. Les publications concernant le matériel de la Genizah du Caire sont aussi dispersées que son contenu. Goitein a passé des dizaines d’années à étudier ces documents et a grandement contribué à nos connaissances actuelles concernant l’histoire sociale et économique des juifs à cette période, avec le tri de plus de 4 000 fragments. La Genizah du Caire continue de passionner de nombreux chercheurs et historiens. Plus près de nous, Gideon Lisbon a utilisé ces documents dans sa recherche sur le statut des femmes dans la société islamique au moyen age et Geoffrey Khan a publié un travail décrivant les lois administratives et juridiques de cette époque. Le long travail d’archivage et d’analyse du contenu de la genizah du Caire continue. Avec les progrès technologiques comme le microfilmage, le nombre de fragments publiés est considérable, et un flot ininterrompu de chercheurs poursuit un travail de recherche sur les collections principalement rassemblées aux Etats-Unis. Un département a été créé à l’université de Cambridge, le Taylor-Schechter Genizah Reserch Unit. C’est actuellement le plus grand centre d’étude dédié à la genizah du Caire.