Une étude le montre
Des chercheurs américains ont déjà montré au cours des années précédentes que les amis des obèses ont tendance à être obèses, les voisins des fumeurs consument eux aussi des cigarettes et les proches des alcooliques boivent plus que de raison. Eh bien, il semblerait aussi que les amis des gens heureux ont tendance à l’être également. Une enquête très documentée publiée le 4 décembre dans le British Medical Journal nous révèle que la joie est un phénomène collectif qui se répand par vagues à travers des réseaux sociaux, comme une émotion contagieuse et transmissible.
Pour parvenir à une telle démonstration, Nicolas Christakis (Université de Harvard) et James Fowler (Université de Californie) aux États-Unis se sont plongés dans l’étude réalisée dans la ville de Framingham. Cette gigantesque enquête a été initiée en 1948 sur plus de 5 200 personnes afin de comprendre l’origine des maladies cardiovasculaires notamment à travers les comportements, tabac, alcool, alimentation, stress, bonheur… Plus de 5 200 descendants des volontaires de Framingham ont été inclus dans une nouvelle cohorte en 1971. Un troisième groupe - « la troisième génération » - de plus de 4 000 personnes a été constitué en 2002.
Tous les 5 000 volontaires de 1971 ont été interrogés trois fois entre 1983 et 2003 sur leur sentiment de bonheur : « Vous êtes-vous senti confiant dans l’avenir la semaine dernière ? Joyeux ? Heureux de vivre ? », tout comme leurs voisins, amis, frères et sœurs.
Grâce à ces données accumulées et informatisées, l’organisation de la vie sociale à Framingham a été recréée virtuellement, dans l’espace et dans le temps. Les liens familiaux, les réseaux de voisinage, les groupes d’amis, les collectivités professionnelles ont été redessinés. L’éventuelle transmission du bonheur a été examinée à travers plus de 50 000 liens. Après des analyses algorithmiques complexes, l’idée de la propagation sociale du bonheur s’est clairement imposée.
Ainsi, les auteurs ont calculé que, lorsqu’une personne devient heureuse, un de ses amis vivant à moins d’un kilomètre a 25 % de chance de le devenir à son tour, un de ses frères ou sœurs a 14 % de chance, le voisin sur le même palier a 34 % ; quand l’épouse devient heureuse, celle d’un corésident a 8 % de chance de l’être à son tour. Lorsqu’une personne rend un ami heureux, l’ami de cet ami aura 10 % de chance de l’être aussi. Plus l’ami est à proximité, plus la contagion est intense.
Ce travail met en évidence l’importance de la proximité physique. Si les enfants ou les amis habitent loin, le sentiment de bonheur ne diffuse pas.
Les gens heureux, plus généreux
La joie des voisins n’a pas d’impact lorsqu’ils habitent à plus de 25 mètres. La tristesse, elle, semble se transmettre moins facilement : en moyenne, chaque ami proche qui devient heureux vous offre 9 % de chance de l’être à votre tour, chaque ami qui devient malheureux augmente votre risque de 7 %. Les auteurs n’ont pas trouvé de contagion du bonheur entre collègues de travail.
Quels mécanismes sous-tendent ce phénomène ? Si les auteurs laissent la question ouverte, ils avancent l’impact des expressions faciales et les émotions positives qui pourraient véhiculer la joie. Et puis, les gens heureux pourraient être plus généreux en amitié, temps, argent… En 1984, des chercheurs américains ont calculé que le fait de gagner 5 000 dollars au loto augmentait le bonheur de seulement 2 %. « Dans ce contexte, le pouvoir des autres sur vous est incroyablement plus élevé, puisque l’ami d’un ami que vous ne connaissez pas et qui devient heureux agit sur vous comme si vous aviez 5 fois 5 000 dollars !, résume James Fowler . Il y a plusieurs implications dans ce travail.
D’abord, nous devons avoir une plus grande responsabilité face à notre propre bonheur puisqu’il affecte les autres. La poursuite du bonheur n’est pas un but solitaire. Nous sommes connectés et notre joie est ainsi. »
C’est bien ce que disent les rabbins
Si on prenait le problème à l’envers : commençons à être généreux, à pratiquer la tsedaka et le bénévolat, on finira par être heureux. Du lishma vient le non lishma... Car une mitsva entraine une autre mitsva et la transgression entraine une autre transgression (également pirke avot).
Quel que soit le sens dans lequel on prend le problème, c’est toujours avec l’Autre que tout se passe, pour le meilleur et pour le pire.