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Dialogue interculturel en Israël : de la crainte à la joie

Dialogue interculturel en Israël : de la crainte à la joie

L’expérience d’Eva Halahmi, directrice de projets de la fondation Tali, qui organise des rencontres entre des enfants juifs et arabes.

Question : Comment est né le projet TALI et de quoi s’agit-il ?

Eva Halahmi : Keren TALI agit depuis 30 ans pour la diffusion de l’enseignement du judaïsme dans plus de 70 écoles publiques et laïques dans tout Israël. Nous avons senti que le moment était venu de mettre cette expérience au service d’une initiative de dialogue interculturel et interreligieux entre les écoles TALI et les écoles arabes israéliennes. Cette démarche innovante a été rendue possible jusque-là grâce à la collaboration de l’équipe de pédagogues de TALI avec plusieurs associations, le JCJCR (Jérusalem Center for Jewish-Christian relations), le district Nord du Ministère de l’Education ainsi que celui de Haïfa.

Question : Quels sont vos buts ?

Eva Halahmi : En 2006 Keren TALI a donc inauguré ce projet éducatif expérimental dans le cadre du dialogue judéo-arabe en Israël, avec comme objectif de favoriser l’entente, le respect mutuel, la volonté de rencontre et de coexistence entre élèves juifs et arabes, tout en cultivant la recherche et l’approfondissement de l’identité personnelle et collective des participants.

Ce programme encourage les participants à une réflexion ainsi qu’à une recherche approfondie sur les éléments constitutifs de leur identité personnelle, avec, pour axe central, le patrimoine culturel, spirituel et religieux. Cette recherche est pour nous, une condition indispensable à la compréhension d’autrui et de la complexité de son identité. En Israël où se côtoient, voire se confrontent, juifs et arabes des trois religions monothéistes, cette démarche est perçue par les directeurs, les enseignants et parents comme pertinente et porteuse d’espoir.

Question : Comment cela fonctionne t-il ?

Eva Halahmi : A titre de projet pilote nous avons mis en place un programme de rencontres entre écoles juives du système TALI, et écoles arabes du réseau d’écoles catholiques en Galilée, autour de thèmes tels que le calendrier et la célébration des fêtes, les traditions, les cérémonies familiales et communautaires ou encore l’interprétation des textes et des figures bibliques, coraniques et chrétiennes.

Nous avons choisi de procéder par ordre, en créant d’abord un groupe de dialogue pour les directeurs d’établissements, puis, en collaboration avec eux, nous avons constitué un second groupe de dialogue pour les enseignants juifs et arabes qui a permis de créer une expérience directe et récente de rencontre à travers laquelle ils puiseront une compréhension plus vraie des rencontres à venir de leurs élèves. Les professeurs ont participé à une formation pour accompagner eux-mêmes les rencontres entre leurs élèves de part et d’autre.
Une équipe de professionnels spécialisée dans le développement de programmes éducatifs pour favoriser le dialogue et la tolérance dans une société multiculturelle en particulier dans le Nord du pays (l’association Maarag), a accompagné le projet, dès les premières étapes de la formulation du concept de base et jusqu’à la mise en place d’outils adéquats aux besoins des équipes d’enseignants pour assurer la qualité des échanges.

Une étroite collaboration s’est installée entre professeurs juifs et arabes grâce à un énorme travail d’accompagnement des équipes sur le terrain.
En fait, durant l’année scolaire, quatre rencontres interreligieuses ont ponctué un travail hebdomadaire des enseignants dans leur classe respective en vue d’approfondir auprès des jeunes les fondamentaux de leur propre religion et culture. Ceci représente une priorité pour TALI et l’originalité de notre démarche.

Question : Que font concrètement les élèves ? Comment réagissent-ils ?
Eva Halahmi : Un apprentissage s’effectue à plusieurs niveaux :

• Apprentissage de ma propre culture, la richesse de ma religion et sa complexité et la diversité de ses enseignements, bien que participant à une société moderne et plutôt laïque.

Dans la société israélienne, le constat d’ignorance est avant tout établi sur sa propre identité et culture en particulier pour ce qui est de la culture de la majorité juive.

• Apprentissage de l’autre culture, dans les mêmes termes de complexité et de diversité et de pertinence pour notre société moderne,

• Acquisition des outils du dialogue interculturel dans une société en conflit pour surmonter les préjugés mutuels, réduire les effets négatifs de stéréotypes alimentés par l’ignorance de l’autre et de son groupe d’appartenance afin d’envisager un avenir plus porteur d’espoir.
Les élèves passent de la crainte de l’autre à la curiosité et la joie d’expérimenter une relation directe tout en explorant et en respectant les différences de chacun.

La crainte de ne pas surmonter le problème de la langue, d’affronter le regard de l’autre (que pense-t-il de moi ?), crainte du stéréotype malveillant de l’autre à mon égard, d’approfondir la méfiance et le fossé existant entre nos peuples…cette crainte laisse sa place à une volonté de revoir de comprendre, de connaitre et d’exposer ma culture dans un espace et un climat nouveaux de confiance mutuelle.

En effet il s’agit pour chaque élève de rassembler les éléments très concrets de récits de vie, de manière à expliquer aux autres des symboles, des rituels, des façons de vivre, en bref une mémoire vivante et qui se transmets à travers eux. Pour reprendre l’expression hébraïque les enfants sont invités à présenter leur culture bemetava ce qui signifie au mieux d’elle même.

On voit tout l’intérêt pédagogique d’un tel exercice puisqu’il permet aux uns et aux autres de vivre simultanément l’expérience de la distance à travers le regard de l’autre ainsi que celle de la réappropriation d’une expérience de vie toujours singulière.

A l’instar d’un certain nombre de pratiques favorisant une conception par trop générale, voire abstraite de l’humanité au détriment de la différence et de la diversité culturelle, la pédagogie TALI met l’accent sur l’irréductibilité de l’expérience individuelle.

Il s’agit donc de faire droit à une perspective empirique et concrète, valorisante pour chacun. Il n’y a pas de spéculation sur "Le" dialogue, mais des situations concrètes de dialogues.

Question : Comment ces élèves appréhendent-ils le conflit israélo-palestinien ?

Eva Halahmi : A cet âge les élèves n’ont pas encore de vision construite de l’Histoire et des enjeux politiques et nationaux de la région. Il s’agit donc d’intervenir là ou il est encore possible de dissiper ou de réduire la portée des préjugés tout en créant un espace de curiosité mutuelle et de respect.

Pour autant que les facteurs identitaires et religieux ne sont pas extérieurs au conflit dans cette partie du monde, il est important de familiariser les uns et les autres avec la culture religieuse respective de ses camarades. Ceci est d’autant plus important –et d’ailleurs complexe- que nous avons à faire à un public laïc ayant tendance à sous-estimer ou à méconnaître ce paramètre.

Ce précédent est censé servir de modèle possible de respect mutuel et de source d’inspiration quant à la société civile israélienne de demain.

Question : Les parents se rencontrent-ils ?

Eva Halahmi : Il faut comprendre qu’un tel programme ne peut être imposé mais qu’il suppose l’accord explicite des parents. De plus les contenus d’enseignement et les exigences pédagogiques comme la préparation d’exposés, ont nécessairement impliqué les parents : récits familiaux, albums de photos autour d’une fête du calendrier juif, chrétien ou musulman, ou autre exposé nécessitent un dialogue intergénérationnel.

Ce qui nous a tous surpris a été la demande des parents d’être partie prenante dans le processus de rencontres. Ainsi la rencontre consacrée aux rites et coutumes du cycle de vie a été en présentée conjointement par les élèves, des représentants de parents et leurs professeurs. Nous devons pour la suite repenser la place des parents comme acteurs lors des rencontres.

Question : Quels sont les problèmes que vous rencontrez ?

Eva Halahmi : Le fait même du dialogue suppose l’usage d’une langue commune, or la réalité du terrain sur lequel nous intervenons est celle d’une relative complexité linguistique.

Les enfants auxquels nous nous adressons n’ont pas encore la maîtrise de l’arabe s’ils sont juifs ou de l’hébreu s’ils sont arabes. L’hébreu et l’arabe, qui ont le statut de langues officielles, sont enseignés aux uns comme aux autres, mais l’hébreu langue de la majorité sera à terme mieux maîtrisé par les élèves arabes et leurs enseignants. De ce fait, et malgré un souci de créer une certaine symétrie dans les échanges, ce sont les professeurs arabes qui vont assurer la traduction. Il est important que les deux langues puissent s’exprimer, encore une occasion pour chacun d’exprimer sa culture bemetava- au mieux !

Pour autant que nous soyons confrontés à des difficultés, elles ne sont pas d’ordre idéologique ou relationnel, mais plutôt d’ordre logistique. Il faudrait que nous puissions disposer de moyens financiers à la mesure de la demande. Une fois l’expérience pilote dépassée la demande d’élargir le projet prend plusieurs tournures : collaboration active des parents, nouvelles classes à l’intérieur des mêmes établissements scolaires, nouvelles écoles, etc…

Le succès de cette entreprise dépend donc beaucoup de son aptitude à s’inscrire dans la durée de l’extension de ses partenariats et de la mobilisation plus active des familles et d’une meilleure connaissance du projet à l’échelle du pays.

Eva Halahmi

Keren TALI

Directrice de projets

http://www.massorti.com/spip.php?ar...

Propos recueillis par Marc Knobel pour le Crif

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