Le scénario décrit cette lente mais inexorable déchirure humaine entre deux amis new-yorkais, un Juif et un Arabe palestinien, au sortir de la IIème guerre mondiale. Le vote historique de l’ONU en novembre 1947 sur la création d’Israël, les premiers affrontements sanglants qui suivirent, le tout sur fond d’ambiguïtés britanniques largement dénoncées par le réalisateur, semblent sceller leur destin d’ennemis. Une même terre : trop pour deux peuples qui en revendiquent, au nom de millénaires identitaires, la propriété exclusive. Un seul point commun désormais entre les deux : leur survie devient leur vie ordinaire. Les épisodes les plus marquants de 1948 ponctuent la dégradation de cette amitié : les rivalités entre l’Irgoun, le mouvement juif clandestin responsable du massacre de Palestiniens à Deir Yassin, et la Haganah, terreau de la future Tsahal, les opérations de prises de contrôle de la route menant à Jérusalem, l’obsession de David Ben Gourion de faire du ravitaillement de la ville éternelle, un symbole fort du nouvel Etat.
S’il se veut un récit historique, le film n’échappe toutefois pas aux exigences symboliques du réalisateur. Au risque de simplifications. On peut s’interroger, à ce titre, sur la réintroduction presque anachronique de la problématique pétrolière au cœur des moyens de pressions susceptibles, selon les dirigeants arabes de l’époque, d’amener les Américains à soutenir la cause palestinienne. Leader arabes déjà divisés au point de soutenir leurs « frères » en seules paroles. De même l’acharnement - toujours louable - à faire passer le message de la paix, conduit-il Chouraqui à montrer une fraternisation sans doute excessive entre combattants juifs et arabes au moment du premier cessez-le-feu de 1948. La symbolique du mariage juif en présence de l’ami palestinien retrouvé correspond certes à la volonté exprimée du réalisateur d’insister, dans ce long-métrage, sur les aspects positifs, de calmer les esprits et de tout faire pour éviter une importation en Europe du conflit entre Israéliens et Arabes. Elle frise cependant le déni d’une forme de réalité renvoyée quotidiennement par les images et à même de détourner le film d’un public auquel Chouraqui entendait justement le destiner.
On peut enfin déplorer une certaine dose de pathos émotionnel et de bons sentiments qui frise parfois le ridicule. La scène de mariage avec une agonisante en plein combat par exemple. Ou l’officier arabe se mettant à pleurer parce qu’il a dû tuer des combattants juifs au cours de la très dure bataille de Latroun.
Sur le plan historique, certains détails semblent ou anachroniques ou déplacés.
Le personnage de Ben Gourion semble presque une espèce de chef d’une petite bande de boy-scouts dont les réunions se passeraient dans la cuisine des uns ou des autres. Or, à l’époque, le Yishouv possédait quasiment toutes les institutions étatiques nécessaires.
Mais la véritable erreur historique que je trouve impardonnable, est la lourde insistance sur le lien entre la Shoa et la création de l’État d’Israël ; lien clairement exprimé dans la plainte, qui serait alors justifiée, de la partie arabe, comme quoi "elle n’a pas à payer pour les crimes de l’Europe". Ce lien est absolument faux. L’État juif a failli être créé dès les années 30. La seconde guerre mondiale a obligé à geler momentanément le processus de la création d’Israël. La Shoa a bien failli au contraire remettre totalement en cause le bien-fondé du projet sioniste. Avant-guerre, des millions de juifs européens étaient des immigrants potentiels pour le futur État. Après la guerre, il n’y avait quasiment plus personne ; sinon l’infaillible détermination des survivants à créer un État accompagnée de la mauvaise conscience des nations. Certes, le vote de l’ONU fut déterminant, mais il aurait bien pu avoir lieu sans la Shoa. De même que l’État d’Israël aurait pu être créé sans le vote de l’ONU, qui n’existait pas au moment de la mise en place du projet sioniste. Il est d’autant plus déplorable de voir un juif tel qu’Elie Chouraqui divulguer un cliché aussi lourd de conséquences. Comme s’il avait fallu un tel sacrifice, un « holocauste » pour que le peuple juif ait enfin droit à son État ! L’idée est révoltante, fausse et ne fait que conforter les arabes dans leur refus d’Israël. La Shoa est un drame pour le sionisme, certainement pas sa genèse.
À part cela, ce film est agréable à voir, il en émouvra beaucoup et rappellera la genèse d’un conflit qui n’en finit pas à ceux qui ont oublié.
Yeshaya Dalsace