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Un Juif est-il nécessairement religieux ?

Un Juif est-il nécessairement religieux ?

Le Juif religieux représente sans doute le cas de figure le plus simple, mais nous savons que de nos jours beaucoup de Juifs se définissent comme “non-pratiquants” ou “laïcs”.

Dans l’antiquité

Si l’on croit que la définition était plus simple dans l’Antiquité, on se trompe. Le terme grec Ioudaios qui rendait l’hébreu Yehudi et le latin Iudaeus qui a donné en français “juif”, désignaient au moins trois réalités : celui qui vivait en Judée et en suivait les coutumes [1], celui qui suivait le mode de vie juif ( ioudaismos en grec d’où “judaïsme”) à travers l’immense diaspora, et enfin celui qui sans l’avoir reçu de ses parents avait adopté le judaïsme : « Il s’en trouve même parmi les Romains » remarque l’historien grec du IIIème siècle, Dion Cassius, ce qui prouve que les conversions au judaïssme se poursuivaient de son temps.

Du côté juif ,on n’a aucune trace de définition du Juif avant la littérature talmudique que l’on peut situer entre le IIème et le Vème siècle. Le Talmud   offre lui-même une définition des plus larges comme celle-ci : « Est juif quiconque n’adore pas les idoles » (Megilla 13a).

Définition juridique

Sur le plan juridique, on trouve à une même époque deux conceptions juridiques de “qui est juif”, l’une juive , l’autre romaine

La définition rabbinique suivie jusqu’à nos jours par le judaïsme orthodoxe   et Massorti   est connue « est juif quiconque est né de mère juive ». Définit-on par là à cette époque une religion ou une appartenance ethnique, voire une forme de citoyenneté virtuelle d’un pays disparu, peut-être sur le modèle de la définition de la citoyenneté romaine ? En effet, l’enfant que le citoyen romain pouvait avoir d’une femme étrangère ou d’une esclave n’était pas Romain ; pour qu’il le soit il lui fallait être né d’une Romaine.

De leur côté , les juristes romains ont cherché un critère objectif en se fondant sur la pratique.

Quand il fallut distinguer entre Juifs et Chrétiens, notamment pour châtier dûment les rebelles après la révolte juive du temps d’Hadrien, on ne trouva pas d’autre critère que la circoncision. Il n’est même pas sûr que celle-ci ait permis de distinguer entre les judéo-chrétiens et les pagano-chrétiens, car des païens d’origine pouvaient s’être fait circoncire en devenant adeptes d’un des nombreux groupes chrétiens.

En outre, d’autres peuples d’Orient (Egyptiens, Arabes) pratiquaient la circoncision, mais depuis deux siècles au moins celle-ci apparaissait comme un marqueur de judaïsme, et c’est elle qui fut choisie. C’est ainsi qu’est née dans le christianisme la distinction entre Eglise des Gentils   et Eglise « de la circoncision ».

Les Mitsvot

Du fait que les sages   du Talmud   ont recensé dans la Bible six cent treize commandements, on pourrait croire en théorie qu’est véritablement juif, celui qui les accomplit. Or d’une part , certains sont de toute évidence caducs, d’autre part les sages   se sont efforcés d’en réduire le nombre en en attribuant onze à David, six à Isaïe, trois au prophète Michée, et en fin de compte un seul au prophète Habacuc dont la parole (2.4) : « le juste vivra de sa foi » est censée résumer l’ensemble. On a des parallèles à la question posée à Jésus selon les Evangiles : « quel est le plus grand commandement ? ». À un païen qui exigeait d’être converti pendant qu’il se tiendrait debout sur un pied, le sage Hillel (Ier siècle) aurait répondu : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît, voilà toute la Tora » (Shabbat 31a), et Rabbi Aqiba aurait dit de son côté : « Aime ton prochain comme toi-même, c’est le principe le plus important de la Tora » (Sifra Qedoshim 2.4).

Il est clair que l’observance de commandements génériques à dominante éthique ne permet pas de définir le Juif, car ils équivalent à des principes universels sans spécificité. Regardons alors du côté des commandements spécifiques.

Déjà du temps de Philon d’Alexandrie, trois observances caractérisaient les Juifs aux yeux de leurs voisins : circoncision, lois alimentaires, auxquelles il faut ajouter les principales solennités du calendrier hébraïque, shabbat. Si l’on essayait d’appliquer ces critères de nos jours, je crains que l’on ne trouve pas beaucoup de Juifs.

En fait il n’y aurait de Juifs que les Juifs pratiquants parmi lesquels on rencontre d’ailleurs un large éventail de nuances ; ils s’accordent sur le strict respect des points ci-dessus, encore que l’on assiste de nos jours à certaines surenchères d’interprétation et de pratique.

Avec l’émancipation

Dès l’ouverture des ghettos en Allemagne au début du XIXème siècle est apparu un mouvement qui prônait “la réforme” afin de s’adapter aux conditions de vie du milieu ambiant.

Les concessions jugées excessives du mouvement dit “réformé” ou “libéral” ont entraîné la recherche de compromis plus acceptables par ceux qui avaient été élevés dans l’orthodoxie  . Ainsi sont nés au XIXè siècle la néo-orthodoxie   en Allemagne et plus tard aux Etats-Unis le mouvement traditionaliste dit “conservative  ” ou massorti  .

En parallèle, on assiste de nos jours, en raison de sa plus forte natalité, à une résurgence de l’ultra-orthodoxie  , ainsi que de groupes piétistes se réclamant du hassidisme  . Parmi ces derniers, le Habad  , ou mouvement Loubavitch  , se distingue par un prosélytisme actif au sein « des brebis égarées de la maison d’Israël ».

Les images que peuvent donner les différentes manières d’être juif aujourd’hui sont tellement contrastées qu’il est bien difficile à l’observateur extérieur d’en tirer une idée générale. Quant à celui qui est à l’intérieur, il y a fort à parier que pour lui, c’est “son” judaïsme qui est le vrai. Nous sommes donc bien loin de l’unité que semble afficher le judaïsme.

Regard d’historien

En fait l’historien sait que cette situation que l’on croit nouvelle a de nombreux antécédents : division en courants au Ier siècle (Pharisiens, Sadducéens, Esséniens, Baptistes et peut-être autres encore), apparition du caraïsme au IXème siècle, scission entre hassidim piétistes et mitnagedim intellectualistes au XVIIIème siècle.

Si l’on excepte le schisme caraïte qui a rejeté l’apport talmudique , ces divisions, malgré les anathèmes réciproques qu’elles entraînent, n’ont pas ou pas encore conduit à l’éclatement du judaïsme.

Un grand principe dégagé par les rabbins   du Talmud   y a contribué : « Même si Israël a péché, il demeure Israël ». Autrement dit les infractions à divers commandements n’empêchent pas un Juif de rester juif ; il y a mieux : si un Juif a été converti de force, la porte du retour à sa foi primitive lui reste grande ouverte.

Pluralité contemporaine

De nos jours, les Juifs sont majoritairement pécheurs au regard des préceptes religieux développés par le judaïsme rabbinique ; ils pratiquent, comme beaucoup d’autres, leur religion “à la carte” et ne s’en sentent pas moins juifs.

Dans un ouvrage célèbre, Sartre avait défini le Juif par le regard de l’autre : « Est juif celui que les autres considèrent comme juif ». On était alors au lendemain de la guerre. Depuis les choses se sont inversées au point qu’on pourrait presque dire : « Est juif celui qui se considère comme juif ». Parmi ceux-là il y a des enfants nés de parents juifs qui n’ont pas été circoncis sous le régime soviétique ou par crainte de persécutions , dans l’immédiate après-guerre, des enfants nés de père juif mais non de mère qui ne veulent pas changer leur nom de famille, des Ethiopiens naguère persécutés dans leur pays d’origine pour des pratiques judaïsantes.

L’identité qui jadis pouvait apparaître claire est désormais brouillée. Les noms de famille peuvent être trompeurs : M. Lévi, M. Bénichou ou M.Dreyfus vous fera comprendre qu’il est un bon catholique ou un bon protestant, le porteur d’un nom à particule vous dira être juif du fait de sa mère ou d’une conversion par libre choix.

En Israël

“Qui est juif ?” est une question qui s’est posée le plus sérieusement du monde aux débuts de l’Etat d’Israël. Les pressions des orthodoxes  , pour des raisons liées au jeu des partis politiques, ont conduit à admettre la définition classique, « celui qui est né de mère juive », mais les conversions n’étant pas exclues, il a fallu ajouter « ou qui a été converti suivant la halakha   », c’est-à-dire par une autorité orthodoxe  .

Or, les conversions opérées par les autres courants du judaïsme sont de loin les plus nombreuses et leur non-reconnaissance par le rabbinat israélien peut parfois conduire à des drames (l’Etat d’Israël reconnait pour sa part toute conversion). L’exigence de monopole revendiquée par l’orthodoxie   crée remous et tensions. En fait le judaïsme n’a pas d’autorité centrale unificatrice.

Si être juif ne se définit ni par la stricte observance des règles bibliques revues par le Talmud  , ni par une appartenance ethnique, il n’en reste pas moins une volonté d’être juif qui se manifeste, sinon à tous les instants de la journée comme le prône l’orthodoxie  , du moins dans les grands moments de l’existence : mariage, deuil, naissance d’enfants.

En cela le Juif moderne partiellement déjudaïsé rejoint le Chrétien moderne partiellement déchristianisé. C’est vers la religion de ses pères qu’il se tourne pour trouver les formules appropriées en période de joie ou de peine. Cette définition minimale est sans doute décevante, mais elle fonctionne. Le dîner sabbatique, les grandes fêtes, la célébration de la majorité religieuse (bar mitsva   et batmitsva) sont aussi souvent des occasions de retrouvailles familiales, qu’un Juif, même très moyennement pratiquant, ne voudrait manquer à aucun prix – encore faut-il bénéficier du cadre d’une famille.

Conclusion

En résumé, être juif c’est se rattacher à une collectivité qui fut un peuple et s’est reconnue dans une religion, laquelle a connu plus d’évolution et de diversité qu’on ne le pense. Cela n’empêche pas les Juifs d’aujourd’hui de rechercher leur identité ailleurs que dans la religion, par exemple dans un vécu historique ou dans un héritage culturel .

Deuxième question d’une série de cinq posées à Mireille Hadas-Lebel par le Centre culturel de l’Ambassade de France auprès du Saint-siège

[1(les Romains n’ont utilisé “Palestine” qu’après 135,par décision d’Hadrien en représailles à la deuxième révolte juive)

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