Enseignement de l’histoire dans les écoles juives
Une excellente conférence qui va parfaitement dans le sens de la pensée du mouvement Massorti sur l’enseignement de l’histoire et sur la nécessité d’un réseau en France d’écoles juives modernes et ouvertes dans lesquelles l’histoire juive serait véritablement enseignée.
Un des fondateurs du mouvement Massorti et plus précisément du séminaire rabbinique de Breslau était le premier grand historien juif Heinrich Graetz (1817-1891) né Tzvi Hirsh Graetz). Beaucoup de rabbins du mouvement Massorti sont d’éminents historiens, tous nos rabbins ont une formation historique sérieuse.
Au sein du mouvement Massorti , nous considérons qu’il ne faut pas mélanger mythes et histoire. Nous considérons que l’étude critique historique est un instrument positif pour mieux comprendre son judaïsme.
Nous n’avons pas peur de nous confronter à la science, c’est-à-dire toute la science y compris celle des historiens.
Nous pensons enfin que l’école juive doit avant tout avoir pour but d’apprendre à penser et à faire fonctionner son esprit critique et pas seulement à formater l’identité juive des enfants.
Voici par exemple comment notre manuel pour les enfants de Talmud Tora « Comprendre la Torah » fait par Yael Hollenberg-Azoulay enseignante à Adath Shalom présente la question de la formation du texte biblique aux enfants :
« Comment s’est formé le Tanakh ?
La Torah nous dit qu’une Révélation eut lieu au Mont Sinaï après la sortie d’Égypte. Cette Révélation, qui commença comme un discours de Dieu à Moïse, a continué pour chaque génération et continuera tant que les Juifs transmettront la Torah à leurs enfants... Pour assurer cette transmission il a fallu, à certains moments de notre histoire, mettre nos textes saints par écrit. Quand le Tanakh a-¬t-il été écrit ?
La rédaction du Tanakh
Selon les rabbins du Talmud , la Torah a été écrite par Moïse sous la dictée divine. Les sages du Talmud considèrent que les Neviim furent écrits essentiellement par Josué, Samuel, Jérémie et les hommes de la Grande Assemblée (Anché Knesset ha-guedola, Sème siècle avant notre ère). Les Ketouvim sont attribués en partie à David et Salomon, et les derniers livres à Ezra et Néhémie.
D’après les historiens, les récits sur les Patriarches, les Matriarches, les tribus d’Israël et Moïse se transmirent oralement de générations en générations pendant plusieurs siècles. C’est sans doute à la cour du roi David (à partir de l’an -1000) que les scribes et les historiens du roi collectèrent tous ces récits, qui sont la mémoire collective du peuple juif, et commencèrent à les mettre par écrit. Les scientifiques considèrent que la rédaction de la Torah (en particulier le Deutéronome) et des livres de Josué, des Juges et des Rois fut terminée pendant le règne du roi Josias au 7ème siècle avant notre ère. Le reste du Tanakh fut écrit probablement après le retour d’exil de Babylone, entre le Sème et le 2ème siècle avant notre ère.
Dans un cas comme dans l’autre, les livres qui composent le Tanakh , qui sont les textes fondateurs du Judaïsme, sont considérés comme saints parce que leurs auteurs ont retranscrit la parole de Dieu telle qu’ils la percevaient. D’autres livres furent écrits pendant la même période, mais seuls ceux qui étaient considérés par les rabbins comme révélés ou inspirés par Dieu furent inclus dans le canon biblique.
La canonisation
Le mot "canon" vient de l’hébreu canéh qui signifie "roseau" (le roseau était utilisé comme une règle pour mesurer). On appelle "canon" l’ensemble des textes formellement inclus dans la Bible et considérés comme inspirés par Dieu : le canon est donc l’ensemble des livres saints. Ainsi, un certain nombre de livres furent rejetés (certains ont complètement disparu, d’autres ont été conservés par les chrétiens) et d’autres furent canonisés. » (Fin de citation)
Ou encore à propos de la création nous enseignons ceci aux enfants dans le même manuel :
« Et les dinosaures dans tout cela ?
La Torah ne cherche pas à expliquer comment le monde a été créé et comment la vie est apparue d’un point de vue scientifique, mais plutôt pourquoi le monde a été créé, quelle est notre place dans l’univers et quels sont nos devoirs et nos responsabilités. C’est pour cela que le texte de la Torah ne s’intéresse pas à la longue période d’évolution des espèces et aborde directement la naissance de l’être "spirituel" : l’être humain doué de langage, capable de comprendre son environnement et d’avoir une relation avec Dieu. La science et la religion sont des outils différents et complémentaires pour comprendre le monde qui nous entoure. »
(Fin de citation)
Ces deux exemples illustrent parfaitement l’approche Massorti du problème.
Sur le plan pédagogique il est évident qu’un enfant comprend parfaitement ce genre de subtilités. Au contraire cela le rassure. À l’inverse, le jour où un enfant comprend que l’éducation qu’il a reçue était basée sur le mensonge ou un discours infantilisant, donc ne lui accordant aucune confiance, il ne pourra en être que très troublé. C’est une des raisons pour lesquelles certains enfants de familles religieuses quittent la religion avec pertes et fracas. Les enfants sont intelligents, il faut leur expliquer à leur niveau et avec leur langage mais jamais leur mentir, ou encore pire, leur faire sentir que l’on se ment à soi-même.
Stéphane Encel n’est pas à proprement parler un Massorti , en tout cas pas officiellement, mais j’adhère personnellement totalement à chacune de ses paroles.
Yeshaya Dalsace (Rabbin et enseignant de Talmud Tora, père de cinq enfants…)
A écouter sur Akadem.
http://www.akadem.org/sommaire/them...
Messages
Monsieur le Rabbin ,
Est-ce qu’un Talmud Tora a vocation a donner des détails sur les recherches bibliques en cours comme les dates (supposées !) d’écriture des différents livres du Tanakh ?
D’autant que les chercheurs bibliques sont loin d’être d’accord. L’unité littéraire des 5 livres de Moshe est de plus en plus "populaire". De même, la datation de certains livres varient de 4 à 5 siècles d’un spécialiste à l’autre. Sans parler des chercheurs conservateurs respectés comme le Dr Kenneth Kitchen qui continue de revendiquer la fin de la 18ème dynastie egyptienne comme meilleure époque pour l’écriture de la majorité des 5 livres de Moshe.
Discuter des recherches bibliques actuelles aux plus jeunes ne doit pas être interdit mais chaque mot doit etre pesé. Une religion ne peut pas baser un principes fondateur simplement sur un consensus actuel de professeurs... qu’ils ont déjà eux memes du mal à définir.
Cordialement,
Squall.
Cher Monsieur,
Merci de vos réflexions.
Cet article parle des écoles juives plus que du Talmud Tora.
Le réseau des écoles juives en France est divers, mais la plupart sont d’une médiocrité affligeante en matière de culture juive générale, au profit d’une vision exclusivement ritualisée du judaïsme, comme si le judaïsme se réduisait à cela. Des enfants après une complète scolarité juive ressortent avec une belle ignorance de la culture juive générale qui comprend l’histoire, mais également la littérature, la langue hébraïque, la musique, les idées, les courants idéologiques, les mouvements culturels et politiques. A notre avis, c’est un échec patent dans la plupart des cas.
Cette lacune culturelle concerne entre autres l’histoire juive. Celle-ci couvre non seulement l’époque biblique, mais également toutes les périodes jusqu’à aujourd’hui.
De plus l’histoire représente un formidable instrument intellectuel permettant de mettre en perspective l’évènement, le phénomène et la personne elle-même qui se place dans cette continuité historique. C’est le propre de la fonction d’une formation scolaire que de donner des instruments culturels et cognitifs à des élèves et non de l’embrigadement religieux ou identitaire. Bien évidemment que de telles disciplines s’enseignent progressivement et en adaptation à l’âge de l’élève. La scolarité va jusqu’au bac…
Un des plus grands problèmes est l’incompétence de bien des enseignants dans ces disciplines et plus grave, de l’idéologisation de l’école juive et de son corps enseignant au détriment de la qualité de l’enseignement juif (qui ne rentre nullement dans les statistiques de réussite au bac).
Le Talmud Tora est une autre histoire, car beaucoup plus limité en temps et en âge. Cependant, même là, les enfants posent de vraies questions si on leur en laisse l’opportunité et attendent des réponses dignes du monde dans lequel ils vivent et de leur intelligence qui ne laisse pas à désirer en général. Je peux vous dire que dans mon Talmud Tora on débat de tout, bien évidemment au niveau des enfants, avec des réponses adaptées à ce qu’ils sont.
Enfin, le principe fondateur du judaïsme, c’est que le texte fait référence à ma réflexion spirituelle. Nul besoin de rentrer dans des détails de théories de recherche avec les enfants pour développer leur culture et leur esprit critique. Le texte m’interpelle et m’oblige, non pas à cause de l’historicité de Moïse, mais à cause de la pertinence du verbe juif à travers les génération à partir du verbe sinaïtique. C’est cela le judaïsme, l’enfant est apte à le comprendre, à sa façon.
A condition que l’enseignant ait lui-même été apte à faire un réel travail de réflexion et d’appropriation des problématiques à traiter. Un enfant ne s’y trompe pas.
Sur Kenneth Kitchen, il reste très marginal et contesté du fait de son engagement évangéliste qui rend suspectes certaines de ses thèses trop idéologiques, même si on ne peut nier ses compétences en égyptologie et ses qualités de chercheur dans son domaine qui est l’Égypte et non la Bible ou l’histoire juive.
Cordial Shalom
Yeshaya Dalsace
Rabbi,
Si Kitchen est "marginal", pourqui ne parler que de Finkelstein (http://www.massorti.com/La-bible-devoilee-les-revelations.html) ? Le "mainstream" c’est plutot Dever et Mazar...
Si par contre vous vouliez ouvrir un débat, pourquoi ne pas présenter d’autres théories ? Sans doute est-ce évident, mais l’historicité de la bible n’endommagera pas votre mouvement, loin de là.
Je suis assez d’accord sur la pauvreté de l’éducation juive dans beaucoup d’écoles juives (du moins à Paris). Mais le mouvement est jeune et la population juive française n’a pas la taille de son homologue américaine ou israélienne, vous en conviendrez. Certaines écoles juives françaises obtiennent tout de meme de très bon résultats. Avez-vous un projet d’école élémentaire ?
Cher Monsieur,
Sur la question des débats historiques, aucun article ne la traite suffisamment sur ce site. Il faudrait pour cela faire un vrai dossier… Par manque de temps, ce ne sera pas immédiat.
Sur Finkelstein, il a tout simplement sorti un livre très abordable pour le grand public et a de vrais mérites de clarté et d’intérêt. En même temps, son « vedettariat » en France est un peu énervant et mériterait débat de spécialistes. Si j’avais les moyens, je le ferais. Ces découvertes et hypothèses doivent être débattues à fond.
Chez Bayard, Dever a sorti un livre intéressant : « Quand la Bible dit vrai ». Sur ces mêmes questions. Il y a en a d’autres encore dont il faudrait parler, à suivre donc…
Sur l’éducation juive en France. Il faut être nuancé, un formidable travail a été fait et il ne faut pas le dénigrer. Cependant, une certaine médiocrité règne en maître qui reste inexcusable. D’abord certaines écoles sont déjà anciennes. Ce qui est surtout problématique, c’est un état d’esprit qui règne sur une grande part du judaïsme français et ne cherche tout simplement pas à changer quoi que ce soit et oser, non seulement penser autrement, mais penser tout court. Enseigner est toujours un défit. Cependant, faut-il encore chercher à relever le défit et ne pas s’enfermer dans une vision surannée et étroite du judaïsme…
Le mouvement Massorti n’a pas la prétention, ni hélas les moyens, de faire grand-chose et de toute façon ne peut convenir à tous. Nous avons cependant lancé en collaboration avec d’autres organismes, une école juive moderne à Paris. http://massorti.com/EJM/francais/pr... Un travail remarquable y est fait sur le modèle Tali en Israël.
Mais, la solution serait surtout que même des écoles orthodoxes soient plus ouvertes et ne pratiquent pas de censure sur le savoir, ce qui est un comble pour l’école.
Yeshaya Dalsace