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Louis Jacobs par le Rabbin Jeremy Rosen

Louis Jacobs par le Rabbin Jeremy Rosen

Avec le recul, on pourrait dire que la tactique de l’orthodoxie   s’est avérée exacte en ce qui concerne la protection et le renforcement d’un type d’orthodoxie   conformiste et antirationnelle qui domine actuellement le judaïsme mondial. Mais elle s’est avérée fausse pour la quasi destruction de la Torah intellectuelle, son aliénation et la perte de quantités de jeunes au centre.

A sa mort, le Rabbin   et Dr Louis Jacobs a été, à juste titre, comblé de marques d’estime (par opposition à la façon scandaleuse par laquelle les Juifs anglais l’ont traité de son vivant).

Sa disparition ne marquera pas les Juifs anglais précisément parce que son judaïsme n’intéresse plus qu’une minorité. L’ironie, c’est que son judaïsme fut, à un moment donné, représentatif du judaïsme anglais le plus orthodoxe   et de la majorité du rabbinat.

Dans les années 50, le Rabbin   Jacobs était considéré comme le spécialiste le plus éminent du judaïsme anglais. Il a étudié à Gateshead où il avait la réputation d’un « illul », un génie. Entré au rabbinat, il en devint l’étoile montante de ce qui était alors une importante institution, le « Jews College ». Quand je suis rentré à Londres après plusieurs années d’études dans une yeshiva en Israël, mon regretté père m’encouragea à suivre ses cours et en particulier ses cours de Talmud  . Ce qu’il y avait de formidable à cette époque au Jews College, c’est que l’on pouvait étudier avec des hommes comme Epstein, Jacobs, Weider et Zimmeis et, à un moment donné, se croire dans une yeshiva traditionnelle, puis on les entendait changer de rythme et l’instant d’après, on se croyait à l’université (les seuls endroits où l’on peut assister à ce genre de choses maintenant, c’est dans les universités israéliennes). Louis était brillant, mais ce n’était pas un orateur. Il n’enthousiasmait pas ceux qui l’écoutaient. Mais c’était un honnête homme, bon, gentil  , bienveillant et je ne connais pas beaucoup de rabbins   dont on pourrait dire cela aujourd’hui.

Sa vie durant, il a été très pointilleux, avec son épouse, dans l’observance des mitzvot. La seule chose hétérodoxe que je l’ai entendu dire à propos des mitzvot, c’était que le fait d’avoir la tête couverte tenait du fétichisme. Et pourtant lorsque c’était « halachiquement » nécessaire, il obéissait. Il était aussi totalement loyal, à tort à mon avis, à ce qu’on appelle le « Minhag Anglia » (coutume anglaise), cette tendance de « United Synagogue » à copier le froid cérémonial de la « Church of England » (Eglise anglicane) pour ses offices. Un jour, alors que je lui suggérais de laisser tomber la tenue canonique pour donner à sa schule l’atmosphère d’un Stiebel, genre Carlebach, il s’en est horrifié.

En quoi consistait son crime ? Dans son petit livre publié dans les années cinquante, « Nous avons raison de croire », il essayait, dans la lignée de Maïmonide  , de donner un sens rationnel à la théologie traditionnelle. Bien que croyant à la Torah du Sinaï, il soutenait que ça dépendait de ce qu’on entendait par « Torah » et par « Sinaï ». Par là, il voulait simplement dire qu’il ne prenait pas littéralement l’affirmation que chaque mot et lettre de la Torah était dicté(e) par D. à Moïse au Sinaï (point que même le Midrasch soulève dans Shemot Rabba 41.6) parce que Moïse n’est pas descendu avec une Torah écrite, mais seulement avec les Tables en pierre. Il y avait des lois pour lesquelles il devait, par la suite, demander quelques explications à D. Il y avait des mots et des lettres écrits d’une façon, mais qui se prononçaient différemment. Et bien qu’il soit parfaitement concevable que les lois aient été transmises avec des ramifications et des implications, nous ne savions pas exactement comment ça a été communiqué, ni sous quelle forme. Ce qu’il disait alors, c’était que les lois du judaïsme avaient leur origine au Sinaï, qu’elles avaient été sanctifiées par approbation divine et qu’elles avaient été consacrées par la tradition. Toute personne qui s’affirmait juif(ve) pratiquant(e) se devait d’adhérer strictement à la Torah telle quelle, peu importe comment elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui. Et bien que son livre ait été étudié par la presse hebdomadaire Mizrahi de l’époque, il fut bien reçu et sans réserve aucune.

Vers la fin des années cinquante, les Dayanim   (juges) du Beth Din (tribunal rabbinique) de Londres exerçaient leur pouvoir et leur idéologie sur le Grand Rabbin   Brody, volontaire certes, mais faible et qui n’était pas en mesure de leur tenir tête (contrairement à son prédécesseur le Rabbin   Hertz qui ne se laissait pas faire). Ils savaient que la seule personne du rabbinat orthodoxe   qui pouvait entraver, intellectuellement et religieusement, leur marche dans le droit chemin était Louis Jacobs. Donc, lorsque le directeur du Jews College, le Rabbin   Epstein, est mort et que Louis, son successeur naturel devenait de toute évidence le candidat au poste de Grand Rabbin   après Brody, ils se sont arrangé pour détruire Louis Jacobs en affirmant que son livre le rendait inapte à devenir rabbin   orthodoxe   et le taxèrent d’hérétique (la tactique habituelle quand plus rien ne marche). Il fut donc expulsé du Jews College et de United Synagogue.

Louis n’était pas du genre combatif , mais il fut d’accord pour que William Frankel, directeur du journal Jewish Chronicle, se serve de lui pour démontrer l’hypocrisie de United Synagogue et se rallier à l’American Jewish Conservative   Movement. Mon regretté père était au plus mal à cette époque ; Louis est venu le voir et je me souviens que mon père l’a supplié de ne pas envenimer l’affaire, de garder sa dignité et d’attendre le bon moment pour agir. Le judaïsme anglais était trop conformiste, trop anti-intellectuel et trop apathique pour se révolter ou pour changer. Frankel a gagné. La campagne eut lieu, elle fut perdue et Louis fut chassé à jamais de son Paradis.

Malheureusement, je pense qu’il s’est alors senti libre de prendre ses distances par rapport à la théologie orthodoxe   et je ne suis pas d’accord avec son idée de « révélation », c’est-à-dire ce que les sages   pensaient que D. voulait. Entretemps, le courant dominant était devenu fondamentaliste, refusant de réfléchir aux problèmes. Pour reprendre les mots de Daniel C. Dennet, il s’agissait de « croire à la croyance » plutôt que d’essayer d’en comprendre les problèmes.

Avec le recul, on pourrait dire que la tactique de l’orthodoxie   s’est avérée exacte en ce qui concerne la protection et le renforcement d’un type d’orthodoxie   conformiste et antirationnelle qui domine actuellement le judaïsme mondial. Mais elle s’est avérée fausse pour la quasi destruction de la Torah intellectuelle, son aliénation et la perte de quantités de jeunes au centre.

Louis a consacré sa vie à l’étude. De sa synagogue différente en perte de vitesse est ressorti un timide quoique vibrant mouvement Massorti   que les Orthodoxes   tendent à assimiler au judaïsme réformé.

Dans les années 80, on m’a demandé de faire un article sur un livre de Louis Jacobs pour un magazine intitulé LeEylah, publié dans ses dernières années par le Jews College. Le rédacteur en chef en était le Grand Rabbin  . Dans mon article, je disais que c’était dommage que l’Orthodoxie   ait refusé de lui accorder une bourse et la reconnaissance de sa puissance intellectuelle et qu’elle s’en trouvait appauvrie. Son assistant m’a dit alors qu’il s’était fait houspiller (il ne m’a pas dit par qui) d’avoir autorisé la publication de mon article et qu’il ne devait plus me solliciter (ça vous rappelle quelque chose ?). Bien plus tard, dans une synagogue « orthodoxe   » de Bornemouth, on a honteusement refusé à Louis de faire une Allyah à la Bar-Mitzvah de l’un de ses petits-fils.

Etait-ce un hérétique ? Si les rabbins   orthodoxes   qui prétendent que le monde a plus de 5.700 ans prétendent que c’était un hérétique, alors c’en était un. Si la Guemara peut prétendre que l’alphabet de la Torah d’aujourd’hui n’est pas celui qu’utilisait Moïse, dans ce cas, elle doit l’être aussi. Si nous le jugeons par ses actes (et d’après la Halacha, c’est ce qui définit un paria), par sa dévotion à la Torah, par son honnêteté et sa bonté, je suis sûr qu’il franchira les portes du Paradis bien avant la grande majorité des rabbins   orthodoxes   en vie aujourd’hui et comme le dit le Talmud  , « j’espère pouvoir partager son sort ».

Pendant longtemps, le meilleur moyen de prouver ses références orthodoxes   consistait à attaquer Louis. Les temps ont changé. Louis n’est plus de ce monde. Et ceux qui, par le passé, pensaient ne courir aucun danger en l’attaquant, se trouvent maintenant accusés d’hérésie. La base change constamment, vers la droite. Pour citer Hillel, « parce que tu l’as noyé, toi aussi tu seras noyé ». La seule solution, c’est de suivre Micah « sois juste, aimes la gentillesse et marche humblement vers D. ». C’est ce qu’il a fait. Que sa mémoire soit bénie.

Traduction : Blanche Pasternak

Rabbi Jeremy Rosen received his rabbinic ordination from Mir Yeshiva in Jerusalem. He studied philosophy at Cambridge University, and also holds a PhD in philosophy. He has worked in the rabbinate and Jewish education for more than forty years, in Europe and the US, and is currently director of the Yakar Educational Foundation, and rabbi of Yakar Kehilla, in London.

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